Le verbe, sa corde, avec le sujet
Tiré d'une pièce de théâtre, elle-même basée sur des faits réels, La corde frappe à plus d'un titre par ses thématiques.
Le meurtre en tant que "sport", stimulation intellectuelle, la quintessence des "meurtres parfaits" si souvent abordés chez Hitchcock, ici poussés jusqu'à l'exercice de style.
Mais aussi, et peut-être surtout, l'homosexualité montrée sans artifice à l'écran, en ce milieu de XXe siècle et surtout en pleine Amérique puritaine.
C'est un film audacieux, et pas seulement par son fond, puisque Sir Alfred se paie le luxe d'un exercice de style technique autant que philosophique : des plans-séquences de 10 minutes, la durée maximale offerte par les bobines à l'époque, puisqu'il s'agit de son premier film en couleur, avec un Technicolor flamboyant.
Ce choix délibéré et poussé à l'extrême donne lieu à de très belles scènes (le suivi des acteurs jusqu'à la cuisine par exemple), respectant l'esprit de la pièce de théâtre originelle, mais provoque aussi des effets moins appréciables, comme ces enchaînements dans le dos des personnages, faisant inutilement ressortir le procédé.
Quoi qu'il en soit un bien bel exploit technique, surtout lorsqu'on prend en compte la taille des caméras de l'époque, et le troisième choix déterminant : celui d'un huis clos, dans un espace relativement exigu qui plus est.
Ces nombreuses contraintes morales et techniques incitent à pardonner quelques faiblesses du film.
Un James Stewart un peu moins convaincant qu'à l'accoutumée, un rythme parfois un peu poussif, le personnage de Philip que j'ai pour ma part trouvé très caricatural.
Bien qu'on puisse dire à peu près la même chose de tous les protagonistes, choix compréhensible pour une pièce de théâtre, tant pour la lisibilité que pour le temps restreint dans lequel il faut poser l'intrigue, le sien en particulier m'a gêné, d'une part en raison de son caractère très central dans le drame, d'autre part car il représente somme toute l'une des seules cautions "raisonnables", et voir cette dernière matérialisée dans l'hystérie et le ridicule est vraiment dommage.
Mais j'imagine aussi qu'il fallait laisser la conclusion moralisatrice au mastodonte James Stewart pour des raisons "politiques", même si fort heureusement son rôle est bien plus nuancé, de par sa participation indirecte à la naissance de cette vocation meurtrière.
Ce rôle ambigu et en même temps déterminant me laisse d'autant plus de regrets sur le relatif manque de conviction de Stewart dans l'interprétation (mais ce ressenti est bien évidemment tout subjectif).
Bref un Hitchcock qui serait mineur si on se contentait de laisser dérouler la pellicule sans faire traîner son regard ici et là, à la fois sur les détails visuels qui traduisent la méticulosité de l'artiste, mais aussi sur les éléments de lecture trahissant combien on est en face d'une œuvre audacieuse pour son époque, y compris d'un point de vue intellectuel.
Incontournable, à défaut d'être irréprochable.