Le film le plus agaçant d’Hitchcock s’inspire d’une pièce de théâtre, Rope’s End, relatant un fait divers de 1924. Nathan Leopold et Richard Loeb, deux riches étudiants en droit d’à peine 20 ans, tuèrent un garçon de 14 afin de réaliser un crime parfait reflétant leur supériorité intrinsèque. Dans La Corde, ils deviennent deux étudiants d’une vingtaine d’années en tuant un troisième. Deux homosexuels, l’un sûr de lui et satisfait de son succès, l’autre en proie au doute et prêt à flancher.

Premier film en couleurs d’Hitchcock, La Corde est l’objet d’un mythe en faisant un film construit en un seul plan-séquence. En effet l’action se déroule en direct et sans interruption, ce qui rapproche d’autant plus le film d’un dispositif théâtral. Toutefois le spectateur attentif décèle facilement qu’il ne s’agit pas d’un véritable plan-séquence, grâce à quelques fondus sur des murs, sur la planche du cercueil ou sur un bagage en gros plan – mais aussi des coupes franches, paradoxalement plus subtiles. Néanmoins l’esprit reste le même et il n’y a tout de même que 11 scènes différenciées. La méthode d’Hitchcock tourne à vide en mobilisant une avalanche de faux-mystères.

Car même si tout est brillamment meublé, à l’arrivée la moitié du film est plus que superflue. Le risque d’un dérapage pendant la réception est toujours minime et le secret est très lointainement titillé. Seul le professeur Rupert Cadell est une menace pour les tueurs, or cela se traduit par les incessants regards biaiseux et autres poses méditatives de James Stewart. Vous nous avez indiqué très rapidement que le bonhomme avait flairé quelque chose de louche, sir Hitchcock ; et ses techniques pour approcher la vérité sont pour le moins bancales, mais pas autant que les deux héros sont grotesques. Logique, puisque le point de vue hitchcockien sur l’affaire est un sommet de moralisme infantile et bourgeois.

Il s’agit tout de même de la mise en scène de deux folles tordues appliquant leurs convictions nietzschéennes. À ces monstres froids (Brandon, le dominant flippant) et perturbés (surtout Philip, le dominé sensible) s’oppose la droiture de James Stewart, gratifiant le spectateur d’un discours final de lyricien humaniste, au résultat nul car déchiré entre désir de vraisemblance et de bien-pensance. C’est toujours pittoresque de voir des classiques nobles surpasser les bis dits putassiers par leurs postulats et leurs gadgets.

Le film pose toutefois la responsabilité des penseurs et idéologues quand à ce qu’ils profèrent ; sont-ils vraiment conséquents, connaissent-ils bien les implications et la nature de ce dont ils parlent !? L’idée essentielle du moralisme de La Corde consiste à placer la réalité au-dessus des fantaisies de l’esprit. Il prône ainsi un ordre social bienveillant et limpide, sans idéal, pour des hommes s’épargnant tourments et élans funestes en restant humbles.

http://zogarok.wordpress.com/2014/12/06/la-corde/

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le 5 déc. 2014

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