La Couleur de l'argent est un film carrefour dans l'histoire du cinéma. C'est l'un des derniers grands films de Paul Newman, véritablement excellent et qui obtient l'Oscar du meilleur acteur pour sa performance. C'est un film de milieu de carrière pour Martin Scorsese, presque à mi-chemin entre Raging Bull et Les Affranchis, et donc méconnu dans sa filmographie. Et c'est l'un des premiers de Tom Cruise qui venait tout juste de tourner Top Gun, mais je vais pas vraiment en parler car il gâche presque tout le film, comme d'habitude.
C'est grâce aux deux premiers artistes que le film est une grande réussite. La poésie de Scorsese permet de transformer une histoire banale, un ancien virtuose du billard qui se remet peu à peu dans ce milieu, en une épopée épique, une quête de soi, un désir de vie. Si Scorsese est surtout connu pour ses films autour de la mafia et de personnages hauts en couleur, son talent pour la lenteur et l'épaisseur de ses films est trop peu reconnu, et pourtant c'est lui qui fait tout le sel de celui-ci. Alors que le film est une suite de L'Arnaqueur, film des années 1960 avec déjà Paul Newman, il se regarde en tant que tel, ce qui est déjà un tour de force éclatant. Le grain si caractéristique de l'image, typique du Scorsese d'alors et qu'on retrouvera jusque dans Casino, apporte une touche très eighties toujours plaisante, ici dans des couleurs ternes. La narration et le rythme sont assez simples, ils permettent une montée en puissance toute douce, et donc inévitable.
Mais qu'aurait été ce film sans Newman ? Il porte l'entièreté du scénario sur ses seules épaules, tant il est poignant dans ce personnage aussi talentueux et émouvant que mesquin et brut. La scène où son personnage est arnaqué, véritable tournant du film, est un petit bijou. Tout son être est chamboulé, toutes ses croyances, son identité sociale et sa perception de lui-même sont réduites à néant en un instant - et il le joue impeccablement. En somme, pas le plus grand film de Scorsese ni de Newman, mais assurément l'un des grands et totalement sous-coté ces dernières années.