Perdu entre le show Wonka (Paul King, 2023) et la frénésie Babylon (Damien Chazelle, 2023), The Color Purple version 2024 ne réussit que rarement à faire naître le chant de la misère sociale et de la violence qui gouverne la relation entre les sexes : les chansons et les chorégraphies écrasent les enjeux sensibles et historiques, réduits à l’état de toile de fond similaire à cet arbre ancestral autour duquel se réunit, à terme, la famille. Cette omniprésence du corps en mouvements fait perdre le sens des mouvements accomplis, le recours permanent au chant oublie que ce dernier est issu du plus profond des êtres, en réaction à une contestation qu’ils ne peuvent sinon exprimer – ce que Steven Spielberg montrait remarquablement lors de deux séquences, celle dans le cabaret de fortune construit dans le marais et celle réunissant le vice et la vertu, soit le même public du cabaret et les fidèles de l’église.
Le résultat est la vulgarité générale : le baiser échangé entre Celie et Shug, tabou qui exigeait la pudeur, s’exhibe sur les planches de Broadway, la scène du bain se transforme en projection superfétatoire des deux femmes sur un gramophone géant, la découverte de la lettre dans la boîte postale de « Monsieur » conduit Shug à brailler en levant les bras en l’air avant de la lire avec Celie à haute voix, simplicité qui balaie les doutes, la retenue et les vibrations liés à la transgression d’un interdit. Le réalisateur confond gesticulation permanente et mise en scène, caprices et analogies, oublie qu’un plan doit signifier et qu’une image doit être composée – l’impression majoritaire est celle d’une caméra aguicheuse qui fait se succéder les illustrations dans l’espoir d’une maîtrise formelle, alors qu’elle déambule seulement parmi les performances dansées. Le spectacle hurle encore et encore sa virtuosité insignifiante que dynamisent des comédiens talentueux au demeurant mais dépourvus d’épaisseur et de vie à l’écran. Nous aurions aimé voir une telle relecture sur scène et non au cinéma : il y a là méprise…