La Cuisine au beurre par Alligator
aout 2012:
Je peux me tromper, mais j'ai cru comprendre que ce film avait mauvaise presse en raison de problèmes relationnels entre Bourvil et Fernandel (je confonds avec un autre duo, un autre film?) et d'un scénario pas très bien foutu, bancal, fade, plus pensé pour équilibrer le temps de jeu de ses vedettes aux égos surdimensionnés que pour asseoir une bonne histoire.
Or, pour ma part, même si je concède un rythme un peu aléatoire, j'ai toujours eu une grande affection pour cette sympathique comédie. D'abord, l'écrin qu'offre ce cinémascope noir et blanc de Roger Hubert est le signe encourageant que la photographie sera un délice. Allez savoir pourquoi ce type de photo me ravit autant l’œil? Peut-être parce qu'il est daté, correspond à tout un pan de l'histoire du cinéma qui m'a ébloui quand j'estois mioche, à une époque qui a bercé mon enfance téléphage?
Je n'ai pas vu ces films au cinoche mais à la télé, c'est un fait, et cette netteté, cette précision du grain, quand la diffusion respecte le cadrage, provoque à chaque fois un vraie et vigoureuse érection cinéphile. Bien entendu, cela ne suffit pas, c'est un préalable très important, charnel qui aboutit quasiment à chaque film à la prise de panard totale.
Quand le film débute de nuit sur la quai de gare, devant ce wagon dans lequel monte Fernandel, je sais de suite que je vais aimer voir ce film, quelque soit son vieillissement, son contenu. Ce ciselé des traits et des formes va me mettre dans prédispositions plus que favorables pour accueillir l'histoire, la mise en scène, le jeu des comédiens, etc. Cela faisait longtemps que je n'avais pas vu ce film, mais ces premiers plans étaient bien plus qu'une promesse. La forme ne pouvait me décevoir. Effectivement, ce fut une image en tout point correspondant à la technique de l'époque, à ce style de la fin des années 50 et du début des années 60 que j'aime tant.
En effet, le scénario parait pâtir d'une certaine nonchalance dans le tempo, mais pas vraiment de mauvais rapports entre les comédiens, je dirais même que l'impression contraire est patente. Ils semblent plutôt complices sur les scènes rieuses. Si les deux hommes ne s'aimaient pas, ils cachaient bien leur jeu (ce qui est fort possible). La symbiose de jeu me semble très nette. Ils jouent parfaitement ensemble, chacun étant à son aise dans son jeu respectif, le dialogue est noué, parait sincère. Ils sont justes et précis, toujours parfaits dans la diction, son rythme et son intensité. Que demande le peuple? C'est du bon Fernandel, du bon Bourvil. Aucun débordement à signaler : la réalisme des dialogues et des attitudes est toujours respecté. Je dis bravo!
En plus, on a droit à quelques seconds rôles forts corrects : Claire Maurier en premier lieu. L'accent provençal ne sonne pas faux, ni pour Michel Galabru d'ailleurs. Anne-Marie Carrière est un peu deçà de ce que j'espérais. Cette grande comédienne de cabaret, avec ses sketchs enlevés et couillus n'a pas un rôle mirobolant il est vrai.
L'histoire aurait pu être beaucoup mieux écrite, les transitions entre les différents états dans lesquels les personnages se voient contraints de se situer sont beaucoup trop brutales. Mais, sans cela, le canevas de l'histoire est une idée de comédie très séduisante, alliant à la nostalgie d'un amour passé le fracas de l'absurde dans une espèce de vaudeville régionaliste très curieux dans le fond.
S'il fallait voir ce film pour une seule raison, l'indispensable, alors, ne manquez pas le déchirant regard de Bourvil, désemparé, effondré de voir sa femme dans les bras d'un autre. La petite scène avec le jeune Roger Bernard est vraiment touchante, de simplicité et d'une redoutable sincérité, filmé avec soin par un grand réalisateur, j'ai nommé Gilles Grangier. Essayons ensemble de trouver de mauvais films chez ce cinéaste, la tâche sera difficile, peut-être pas impossible mais foutrement compliquée.