Le poids de la croyance
Le cinéma de Satyajit Ray, peut-être de par l'exotisme de ses références culturelles ou les perspectives adoptées imposant un pas de côté à l'œil occidental, est sans doute un de ceux au sein...
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le 18 déc. 2021
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Le cinéma de Satyajit Ray, peut-être de par l'exotisme de ses références culturelles ou les perspectives adoptées imposant un pas de côté à l'œil occidental, est sans doute un de ceux au sein desquels je tolère et apprécie le plus naturellement de tels contes moraux. Le cadre est celui du Bengale au début du XIXe siècle, à l'intérieur d'une demeure luxueuse semblable à celle dans Le Salon de musique et où on retrouve également Chhabi Biswas, ici dans le rôle d'un riche et très respecté seigneur. Grand adorateur de la déesse Kali, un jour, sa jeune bru lui apparaît en rêve comme une réincarnation divine, déclenchant ainsi un vaste mouvement de vénération à travers la région tout entière. Une population conséquente défilera devant la divinité pour recevoir autant de bénédictions, jusqu'au jour où le dogmatisme religieux entrera en conflit avec le pragmatisme d'une situation dramatique.
Drôle de correspondance avec le film de Preminger vu récemment, Le Cardinal, qui voyait Tom Tryon en catholique convaincu mais sujet au doute passager, et surtout confronté aux limites de la croyance religieuse dans la gestion de diverses thématiques plus ou moins prosaïques — de la mort de sa sœur suite à un refus d'avortement jusqu'à l'avènement du nazisme en Autriche. Ray quant à lui dépeint avec une grande subtilité les fondations périlleuses d'une société patriarcale, en proie à des dogmes religieux aux conséquences dramatiques. Dans un premier temps, la révélation nocturne du beau-père est une bénédiction pour la belle Doya, vénérée du jour au lendemain comme une déesse et incarnation de Kali. Une statue humaine, figée au sein d'un décor de tissus luxueux et de fumées d'encens. Peu à peu, le renoncement contraint de son humanité d'être mortel alimentera une crise identitaire profonde qui conduira, dans une seconde partie, à une tension intenable.
La Déesse explore avec beaucoup de tact le conflit latent entre liberté individuelle et fanatisme spirituel, pour un discours dont on n'a aucun mal à saisir la part de subversif — sans avoir à effectuer un voyage dans le temps 60 ans en arrière. Non pas le procès de la religion bien sûr, mais celui de l'obscurantisme et des conséquences des inégalités sociales : dislocation familiale, mortalité infantile, ou encore désintégration psychologique. Ray peut ainsi se voir dans cette thématique comme le pendant hindouiste de Buñuel vis-à-vis du christianisme. Indépendamment de ces considérations-là, on peut se contenter de la tragédie qui se noue lorsque le miracle est censé survenir, déclenchant la propagation d'une rumeur qui traversera le pays et reviendra frapper à la porte de la malheureuse, victime du poids de la superstition et de la dévotion aliénante.
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le 18 déc. 2021
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