Des horreurs sur lesquelles s’est construit la violente conquête de l’Ouest, le massacre des bisons n’est pas la moindre. Le carton initial explique qu’on estime leur population à 60 millions en 1953, pour atteindre les 3000 têtes 30 ans plus tard.
Le film se situe à cette période durant laquelle le vivier se tarit : il s’agit de la curée finale, et, à travers Sandy (Stewart Granger), d’une dénonciation de l’écœurement des actions passées. Alors qu’il a des scrupules à poursuivre le massacre, son acolyte Charles (Robert Taylor, parfaitement ignoble, aux antipodes de son rôle d’indien dans La porte du Diable) se délecte au contraire de pouvoir satisfaire ses instincts sadiques. Son portrait est certes un peu chargé en termes de noirceur, mais concentre à lui seul tout ce qu’on peut reprocher au colon : avide, cruel, raciste, machiste, il affame les indiens dont il pille les richesses, les coutumes (en tuant leur bison blanc) et la dignité (en s’appropriant une de leur femme)… Le personnage vaut surtout par le contraste avec le protagoniste, et les réactions qu’il suscite autour de lui, dans la petite communauté qui va moduler les différentes indignations : celui qui lui tient tête, celle qui se soumet et le hait en silence, le vieil acolyte qui s’ose à certains sarcasmes, et le jeune garçon (qui cumule les défauts d’être à la fois roux et d’origine indienne) qui va voir une occasion d’émancipation en s’opposant à ses décisions les plus abjectes.
Le film impressionne surtout par sa violence, et la lucidité avec laquelle il aborde les sujets qu’il dénonce. Le discours de Charles sur le plaisir à tuer, (« like the only real proof you're alive », selon lui), l’attitude de son épouse réduite au rang d’esclave sexuelle et qui se laisse faire à la manière d’une morte pour le décourager, ou le décryptage de la haine par le vieil homme, qui explique que Charles ne peut aimer quiconque à partir du moment où il se hait lui-même… Les voies de la rédemption semblent assez inaccessibles.
S’ajoutent à ces paroles les images très fortes de tueries réelles des bisons, un massacre généralisé qui rappelle celui qu’on trouvera 15 ans plus tard sur les kangourous dans Wake in Fright. A la différence près qu’il s’agit ici d’images officielles sur les abattages encadrés dans les réserves, que Richard Brooks exploite en contre champ de ses personnages. L’effet est indéniable, et la charge puissante.
Le récit fonctionne sur un duel progressif, qui semble reprendre celui de Red River, entre le patriarche tyrannique et son disciple en voie d’émancipation, mais sur une partition ici bien plus acide et cruelle. Et si la fin épargne tout de même les victimes, elle n’est pas pour autant un rétablissement d’une justice : c’est plutôt la nature qui reprend ses droits, parant ironiquement de blanc la peau qui recouvre Charles, en rappel de son blasphème quant aux coutumes indiennes.
Mais, et c’est là l’essentiel, le film aura surtout été l’occasion d’un constat : le mal est fait.