Allez, je raconte tout.

Frank Skeffington (Spencer Tracy) est une vieille canaille de maire fait à la politique à l'ancienne : fanfares avec majorettes, harangues à tous les coins de rue, bisous à des bébés... Il vient des bas-fonds, s'est élevé à la force du poignet. Il aime bien user du chantage quand il en a besoin (genre recruter le fils attardé d'un banquier pour être chef des pompiers afin de menacer le père de le nommer vraiment et provoquer un scandale - tout ça pour obtenir des fonds pour un projet de logements sociaux). Il est fâché avec l'évêque, avec les bourgeois du Plymouth Club, avec le patron du journal du coin, un droitard. Son fils est un dandy à la cool gâté, mais son neveu (Jeffrey Hunter) travaille au journal du coin et l'admire, voit en lui un père de substitution.

Le film suit Skeffington dans sa campagne, à différentes occasions politiques, comme un enterrement magnifiquement récupéré, une réunion de conspirateurs où Frank s'incruste, etc... Face à Frank, un petit jeune assez benêt, mais qui a l'appui des banquiers, s'incruste et fait une interview télévisé magnifiquement ratée. Aux deux tiers, on assiste à la soirée électorale où on dépouille les bulletins. Contre toute attente, Frank est battu. Il rentre chez lui après avoir annoncé par bravade qu'il candidaterait comme sénateur, mais en montant son escalier, il s'écroule, terrassé par une attaque. Le dernier quart du film décrit les adieux de Frank à ses proches.

Je ne connais pas beaucoup Spencer Tracy, je n'ai vu aucune de ses comédies avec Katharine Hepburn. Mais j'ai vraiment été impressionné par la justesse de jeu et la présence physique de cet homme. Il écrase tous les autres, qui sont pourtant excellents - la troupe habituelle des acteurs fordiens.

Le noir et blanc et l'ambiance si particulière font que dans la première moitié du film, j'étais persuadé que l'intrigue se passait en Irlande, la terre natale de Ford. En effet, si le film tourne autour d'une figure centrale, il n'y a pas vraiment de suspense comme on l'attendrait d'un film de campagne. On se laisse prendre avec plaisir au sel des dialogues, des situations (les discours de la vieille à la veillée d'enterrement), aux bons sentiments exprimés avec tant de chaleur (Frank qui ment à la veuve pour lui faire accepter une aide financière), à la sensualité propre à la ville de cette petite ville (voir les discussions de l'évêque avec son assistant, etc...). Bref, on se situe dans la chronique, un peu comme dans le "Dubliners" de Joyce.

L'intrigue met dans la première partie l'accent sur la politique, sur les buts que l'on se donne et les moyens pour les atteindre - avec un punch qui étonne aujourd'hui. Ford, avec peu de moyens et ses exigences de qualité habituelles, dresse un portraît féroce mais réjouissant des moeurs politiques. Surtout, comme les grands maîtres, il dit des choses complexes de manière simple. La deuxième partie est davantage une réflexion sur la mort et la morale personnelle. On pourra la trouver mélo, moi pas. C'est sûr que la famille, par exemple, est un thème où l'optimisme de Ford est visible (le fils, dandy indigne, qui montre une sincère détresse quand il comprend, au dernier moment, que c'est fini).

C'est un fort beau film, émouvant et riche de réflexions. On peut courir pour trouver aussi accessible et aussi profond de nos jours. Et chapeau à Tracy.
zardoz6704
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le 1 déc. 2013

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zardoz6704

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