Aujourd'hui, vous vous en fichez probablement, mais je devais travailler, me lever à l'aube et suer sang et eau pour gagner mon crouton de pain quotidien et le verre de rouge qui va avec... Un bienheureux concours de circonstances plus tard et me voilà à regarder à la place des Ford qui me manquaient après une grasse matinée bien méritée...

Un autre hasard me fait choisir aujourd'hui les deux films que Spencer Tracy tourna pour mon borgne préféré (je ne compte pas la Conquête de l'Ouest), un du début du parlant et celui-là, de la dernière partie de sa carrière.

La première chose qui saute aux yeux, c'est l'image, indépendamment de la qualité des copies et des problèmes de conservation, la photographie de la fin des 50's est toujours aussi bluffante, et les cadrages fordiens on clairement pris une toute autre dimension.

Pour le reste, rien à voir ici ni dans le ton, ni dans le sujet, mais toujours le même bonheur à se plonger dans une histoire racontée par Ford, quelle que soit sa teneur.

Ici, donc, ne vous fiez pas à un titre français abscons et à une affiche trompeuse, il ne s'agit pas de l'histoire d'un chef d'orchestre quelconque, non, mais de la dernière campagne d'un vieux loup politique qui se présente pour un nouveau mandat de maire à Boston.

D'entrée, à travers son neveu qui sert de candide spectateur, on nous explique bien qu'il s'agit ici du dernier des Mohicans et d'une campagne de dinosaure, la dernière peut-être de son genre, avec encore plus de bains de foule et de meetings au coin des rues que de télévision.

On a beaucoup reproché à ce film son manichéisme lorsque Ford semble ouvertement préférer le pauvre Irlandais devenu édile à la force du poignet et toujours prêt du peuple à son adversaire falot et bien propret au service des grandes familles de la ville... C'est oublier bien vite que Ford n'épargne pas son bonhomme, ne cache rien de son cynisme, de son appétit de pouvoir, le montre ouvertement se parjurant ou faisant chanter un gros banquier sans la moindre hésitation... C'est juste, comme il le fait dire dans le film par Donald Crisp en cardinal, qu'il préfère une fripouille compétente à un honnête imbécile, cela n'empêche en rien la lucidité la plus élémentaire, heureusement.

Dans ce film, on sent bien que Ford règle, sans amertume d'ailleurs, des petits problèmes personnels; avec la bonne société héritière du Mayflower qui regarde de haut les petits immigrés irlandais bien sûr, avec une scène savoureuse dans le club le plus select de la ville; avec son fils aussi, lorsqu'il affuble Spencer Tracy d'une progéniture plus que dégénérée qui vous donnera des frissons dans le dos.
Mais surtout, Ford en profite pour faire venir tous ses vieux acteurs fétiches comme pour une dernière tournée d'adieux : Pat O'Brien, Basil Rathbone, James Gleason, John Carradine, Wallace Ford, Willis Bouchey, Jane Darwell... Ils sont tous parfaits sous leurs cheveux blancs et c'est toujours un tel plaisir de les retrouver...

Surtout que bon, les jeunes, ce n'est pas ça, la rare poule est fadasse, le gamin dégénéré ressemble trop à son rôle pour ne pas être un peu suspect et notre héros candide est joué par Jeffrey Hunter, sorte de pré-Ray Liotta de face et de pré-Ben Affleck de profil, un concentré de moulasse, donc, pour notre plus grand malheur...

Du coup, un peu comme l'enjeu que Tracy tourne dix ans plus tôt sur un thème proche, le film laisse un peu sur sa faim, même s'il reste intéressant (Frank S. Nugent est toujours pour Ford une perle de scénariste) et filmé merveilleusement, comme lorsque Spencer longe la parade en imperméable et galurin, ou que ses assistants gravissent ensemble l'escalier principal...

De toute façon, je suis toujours sévère avec Ford, c'est comme ça, mais c'est tout de même un de mes meilleurs après-midi depuis longtemps...
Torpenn

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