De manière exogène, les long-métrages rendent compte de la situation morale et politique d’un pays à un moment précis. Les scénarios peuvent bien se situer des siècles auparavant, l’idée provient d’un écho dans le présent de l’auteur. Les cinéastes portugais sont taraudés par le passé colonial du Portugal, sorte d’âge d’or révolu d’un pays riche et rayonnant. Michel Gomes (Tabou, 2012) s’attachait aux colonies africaines à travers le prisme du souvenir quasi-historique de son personnage mourant, le binôme à la réalisation de La dernière fois que j’ai vu Macao se penchent, quant à lui, sur les possessions asiatiques qu’ils lient par Joao Rui Guerra da Mata qui y fit son enfance. De ces deux films se dégagent une nostalgie profonde pour un temps révolu dans lequel le Portugal avait encore un rôle à jouer. Mais plus généralement d’un monde qui se fait sans l’Occident et dont le Passé est déjà loin. Si Macao appartient à la Chine seulement depuis 1999 après quatre siècle sous la couronne portugaise rien ne reste, pas même la langue qu’on retrouve seul sur le nom des rues comme pour montrer les vestiges de la grandeur portuguaise. La fin du colonialisme marque la fin d’un rayonnement global et le début d’une descente tant économique que culturelle. La situation critique actuelle du Portugal entraîne un logique regard sur un passé qui sonne alors comme un âge d’or. Il n’y a nullement une envie d’un retour du colonialisme ou un quelconque discours raciste sur la hiérarchisation des « races » seulement un regard sur un pays autrefois glorieux et maintenant obligé par la conjoncture à s’enliser dans la pauvreté dont seuls la cupidité et le vol permettent de sortir comme chez De Oliveira avec Gebo et l’Ombre (2012).


Macao devient alors un fantasme double : celui du peuple chinois qui ne peut pas réellement entrer dans cette forteresse de l’Occident – sorte de Las Vegas de l’Asie –, et celui occidental de l’Orientalisme imaginaire. Le film s’ouvre d’ailleurs sur Candy (un travesti) réalisant un play-back légèrement décalé de la chanson de « You Kill Me » de Jane Russell qu’elle interprète dans Macao de Joseph Von Sterberg (1952). Joao Pedro Rodrigues et Joao Rui Guerra da Mata inscrivent alors leur film dans cette fascination factice de l’Orient, pour une Asie en carton-pâte que seuls des images d’archives parvenaient à faire croire à l’exotisme. Les deux compères mettent ainsi en place la vision occidentale d’une Asie dirigée dans l’ombre par des superstitions et des sectes religieuses empreintes d’une esquisse magie. Cependant, La Dernière fois que j’ai vu Macao ne se cantonne pas à une explication ou une gratuité mais bascule lentement dans une spiritualité envoûtante à la manière d’un Apichatpong Weerasethakul.


Si le film dresse des liens avec l’œuvre de Sternberg, c’est pour mieux s’y opposer. Que se passerait-il si les films n’étaient pas des scénarios rodés et surfaits ? Que faire si comme dans le film les bas de Jane Russell n’avait pas été rattrapés par Robert Mitchum scellant ainsi leur rencontre et flottaient bêtement comme dans La Dernière fois que j’ai vu Macao ? L’œuvre des cinéastes portugais est celle de la non-rencontre, de l’errance solitaire. A l’image de la solitude dans un Macao surpeuplé, les personnages se croisent sans jamais pour se rencontrer étant ainsi obligé à l’impersonnalité du téléphone. Les réalisateurs filment d’ailleurs des cabines sans interlocuteurs avec pourtant le son d’une conversation comme pour se rapprocher d’une réalité isolée dans laquelle les interlocuteurs ne se voient pas et évitent ainsi de tomber dans un banal champs-contrechamps fictif.


La Dernière fois que j’ai vu Macao est une œuvre sur la disparition. D’abord, celle de Candy amenant le protagoniste en voix-off à se replonger dans son enfance. Mais le film devient grandiose par son traitement de personnage fuyant et finalement hors-champs. Le héros ne sera qu’une simple paire de chaussures avançant, ou une main fumant une cigarette. A ce jeu de hors-champs répond un scénario dans laquelle les hommes disparaissent préférant échapper à une humanité déclinante en se transformant en animal à l’aide d’une cage mystique. Même si cela paraît aberrant, jamais le film ne tombe dans un mysticisme de facilité.


Cependant, la maestria du film réside dans cette capacité de faire naître la fiction avec la tension et l’intérêt qui en découle à partir d’une suite d’images à base documentaire. Joao Rui Guerra de Mata ne croit pas en un « documentaire pur et dur » c’est-à-dire avec une impartiale objectivité puisque le regard du cinéaste et le montage amène obligatoirement une subjectivité qui est le nerf du documentaire. La Dernière fois que j’ai vu Macao n’est pas à la base une fiction mais une suite d’images-documentaire qui par le biais du film noir (voix-off) devient un récit. Il y a alors tout un jeu avec le son entre le diégétique et l’extra-diégétique. Le son « mise en scène » est le moyen de lier les plans et de faire des images-fiction. Ainsi, le personnage d’Akan (ami de Candy) n’est pas un acteur mais un simple passant que les cinéastes portugais ont suivi sans lui parler, sans rien lui dire. C’est par l’instantanéité de la vie que la fiction se crée. Le film balance entre ce jeu de fiction/réalité jusque même dans son scénario puisque le premier meurtre n’est finalement qu’un jeu devenu vrai.


La Dernière fois que j’ai vu Macao est une œuvre atypique, une création originale et audacieuse qui allie à la mise en scène de la fiction, la spontanéité du documentaire ; à l’identification visuelle, celle des autres sens ; à la fiction, une sorte d’empreinte historique. Les compères portugais sont audacieux, et lorsqu’elle paye, c’est pour faire des miracles, ou ici un bijou.

Contrechamp
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le 1 juin 2013

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