La Dernière Piste (Meek's Cutoff), nous offre un parti pris à l'antipode des westerns classiques. Ici, pas d'aventure rocambolesque, pas de cow-boy héroïque à la conquête d'un territoire "vierge" devant combattre les méchants sauvages. Kelly Reichardt nous présente un point de vue nihiliste, renversant les attentes du spectateur quant au genre western.
Le film favorise les plans larges, impersonnels. Le début du film sert à nous placer l'action, dans ces grands paysages arides, mais ne nous présente pas les personnages. Ils sont comme insignifiants au milieu de cette immensité, et permettent de représenter de manière plus large tous les colons ayant effectué la traversée de l'Ouest. Le film permet également d'explorer la place des femmes au sein de la société de l'époque. Les personnages féminins sont littéralement en marge tout au long du film, en suivant le convoi de loin, en étant isolées dans les tâches plus domestiques, comme faire sécher le linge, s'occuper de la nourriture ou du feu. Elles sont exclues de toute décision, faisant pourtant parties, elles aussi, du convoi. Cette opposition est ce qui sert d'ailleurs à questionner cette image toute faite, véhiculée par les westerns, du héro américain à cheval à la conquête de l'Ouest. Ici, le personnage se rapprochant le mieux de ce qui a longtemps été considéré comme un "idéal américain" est Meek, spécialiste pour raconter ses aventures héroïques, tout à fait véridiques et à peine romancées. Néanmoins, le personnage ne brillera à aucun moment au cours du film, ni aux yeux du spectateur, ni aux yeux des autres personnages, qui nous permettent de découvrir Meek, en premier lieu par le biais de leurs critiques. Le point de vue et l'idéologie de ce personnage permet également de remettre en question le concept de l'indien, du sauvage, stéréotype à la peau dure qui a encore tendance à être véhiculé dans les westerns plus récents (La Ballade de Buster Scruggs dir. Frères Coen). L'histoire racontée par Meek, qui explique avoir tiré sur des amérindiens désarmés et non confrontationnels, tend à expliquer le comportement agressif, qui est en fait plutôt défensif des différentes tribus améridiennes à l'égard des colons blancs traversant et s'accaparant leurs territoires. On le voit également dans la capture de l'amérindien, qui suivait le convoi de loin, mais qui était seul, non armé et ne montrait pas de comportement agressif. La réponse est quant à elle violente et non justifiée, et utilise ce personnage avec un but précis en tête, qui est servir au groupe. L'incertitude et le principe de confiance sont alors un fil rouge tout au long du film car avec les comportements du groupe, le spectateur se met à une place où il serait compréhensible pour l'amérindien de n'être secrètement pas coopératif. Au final, la conclusion du film est anticlimactic au possible, mais correspond bien à l'atmosphère transmise par la réalisatrice. Il n'y a pas de résolution, le spectateur se veut simplement témoin d'une tranche de vie, d'un voyage à travers l'Ouest parmi tant d'autres. Il n'y a pas de conflits entre les personnages qui feraient d'eux des entités spécifiques, aucune conversation personnelle qui ne pourrait être transposée sur d'autres personnes.
Malgré cette fin, je n'aurai pas apprécié le film de la même façon s'il y avait eu une résolution, une fin bien marquée avec le groupe trouvant enfin de l'eau, ou la trahison tant redoutée s'avérant être réelle. Cette fin aurait été en total décalage avec le message du film et permet justement de créer cette opposition nette avec les classiques du genre. On n'a l'impression de ne pas avancer dans l'espace, on passe d'un paysage à l'autre sans grande différence en fondu, il n'y a pas d'action héroïque, ni de suspense insoutenable, ni de personnage pour lequel on se retrouve à avoir de l'attachement. C'est une représentation impersonnelle et cruelle, dans le même sens que la nature peut être cruelle - il n'y a pas de juste ou d'injuste -, qui nous compte un voyage en roulotte parmi tant d'autres dans l'Ouest américain.