La désintégration : le parcours initiatique d'un futur terroriste.
1h18. C'est le temps qu'il faut à Philippe Faucon pour nous décrire ce qu'est la désintégration, ou comment trois jeunes hommes, Ali, Nasser et Hamza se laissent endoctriner dans un mouvement islamiste radical. Il s'agit d'une mécanique bien huilée: un recruteur, Djammel, repère des cibles potentielles, il les met en confiance, il dialogue beaucoup, et subtilement, leur impose sa manière de penser afin qu'elles deviennent des soldats de Dieu.
Parmi ces trois garçons, Ali retient notre attention car il n'est pas dans schéma de déviance sociale (drogue, violence). Au contraire, il est né en France, il a grandi dans une famille aimante qui a su s'intégrer. Son frère a une compagne française, sa soeur ne porte pas le voile, ils parlent tous les trois parfaitement français et ils ont fait l'école de la République. A la différence de leurs parents, cette nouvelle génération n'a connu que la France et tend à être traitée comme n'importe quel citoyen français. La réalité n'est cependant pas si simple. Ali va découvrir que s'il veut s'intégrer, la société elle n'entend pas toujours l'intégrer. Les préjugés sont tenaces, il en fait l'amère expérience alors qu'il tente en vain de trouver un stage afin de valider son parcours scolaire. En effet, à la question, « Qu'est ce qu'il faudrait changer sur mon CV? » la réponse fuse, lapidaire, « Ton nom ». Remise en question, démotivation, frustration, Ali passe par tous les stades, mais c'est finalement la colère qui l'emporte. Le noir ou l'arabe ne sera jamais l'égal du petit blanc, « français de souche » devant le recruteur. Cette hiérarchie fait naître la rancoeur, une rancoeur qu'Ali analyse de manière extrêmement réaliste et qu'il résume en une phrase: « ils nous font devenir raciste ». Les mots ne sont pas choisis au hasard. C'est d'ailleurs la force du film de Philippe Faucon; son film permet de pointer du doigt certaines vérités quotidiennes, certain comportements communs qui témoignent d'un racisme passif, d'un rejet inconscient des musulmans, y compris par ceux qui prônent la tolérance. Car être raciste, ce n'est pas uniquement traité un mahgrébin de « sale arabe »: le malaise d'une femme dans le métro quand elle voit Ali lire le Cora, le regard des gens face à sa barbe naissante sont autant d'indices qui démontrent à quel point notre société a du mal à admettre les différences.
Pourtant l'intégration ne permet-elle pas aussi le partage? La mère d'Ali est à cet égard un très beau personnage. Elle est la gardienne des coutumes et des traditions au sein de la famille, ce qui la conduit d'ailleurs à être en décalage avec ses enfants. Les rôles s'inversent: ce sont eux qui dorénavant la guide au sein d'une société dont elle ne comprend pas toujours très bien les codes. Quand elle propose que la compagne de son fils prenne un jour de congé pour fêter l'Aid en famille, il doit lui rappeler que cette fête religieuse ne fait pas partie du calendrier républicain. Mais la démarche en elle-même est très positive: cette femme ne veut pas changer la France, elle veut partager ses valeurs. Car comme elle le rappelle à Ali, la foi c'est d'abord le respect.
Or c'est le contraire que prône la secte. Sans surprendre, le discours tenu par Djammel nous interpelle parfois car il n'est pas insensé. Au premier abord, le raisonnement semble même assez logique. Certes il stigmatise, mais tout n'est pas faux dans ce qu'il dit, d'où la difficulté de sortir l'endoctriné de ce sillage. Ali résiste un temps, puis lâche prise justement parce que les prévisions de Djammel se sont réalisées. Il semble ensuite impossible de revenir en arrière; la transformation d'Ali l'isole progressivement de la société à laquelle il a tenté de s'intégrer. Il abandonne les études, devient carriste, porte la barbe, s'éloigne de sa famille à qui il reproche de vivre dans le pêché, puis disparaît. Il termine son parcours initiatique devant les locaux de l'OTAN, menotté à sa voiture qu'il fait exploser. Ali est devenu un terroriste.
Le film se termine sur l'image poignante de sa mère qui crie sa détresse en répétant laconiquement « ils me l'ont pris... ». Le spectateur est cependant en droit de se demander ce que cache ce « ils »? Les islamistes radicaux ou bien les occidentaux qui n'ont pas su accepter l'Islam? Les deux en vérité.
La figure de l'himmam qui prône un islamisme modéré et enjoint au calme malgré les massacres au Moyen Orient n'empêche pas ce constat, dont s'empare les radicaux pour amener les jeunes à rallier leur mouvement: « Quand tu tues un occidental, tu es un terroriste. Par contre, quant on lâche une bombe sur un camp palestinien, ce n'est pas du terrorisme ». Face à la mort, les civilisations ne sont pas traitées d'égale à égale...