Sorti début 2012, le (bref) film de Philippe Faucon - au titre si bien trouvé - m'est apparu comme douloureusement prophétique au regard des événements qui eurent lieu 3 ans plus tard sur le sol français.
On y suit le parcours de plusieurs jeunes maghrébins paumés, ceux qui ont poussé du mauvais côté du périph', au coeur de ces "territoires perdus de la République". Souvent tiraillés entre la culture de leur pays d'accueil et celle qui se vit chez eux, ils ont aussi à négocier avec un racisme anti-musulmans galopant qui semble en permanence les renvoyer à leur condition d'étranger, mais aussi avec le propre racisme de leurs pairs. La mère de Rashid Debbouze possède également ses intolérances culturelles, et accepte d'ailleurs difficilement que son fils ait choisi pour compagne une Française non-pratiquante.
Proie facile que ces gamins qui ne croient plus en rien et qui vont très vite tomber aux mains d'un prédicateur salafiste. Oh, pas le prédicateur tel qu'on se l'imagine, pas Al-Baghdadi style, grosse barbiche et tunique blanche - non, un gentil garçon à qui on donnerait Allah sans confession, qui use d'un charme doucereux, d'une voix qui murmure, pour leur confier les secrets desseins du monde et comment eux seuls peuvent faire la différence. Comme leur vie est peu précieuse au regard du service de Dieu. Comme il est galvanisant de se rallier à une cause supérieure, transcendante - quasi-romantique, diront certains. Allah devient alors la cause suprême qui justifie tous les sacrifices. Et puis il y a ce discours anti-américain, complotiste, dont on entend toutefois jaillir quelques vérités.
Quand les morts sont des Occidentaux, là c'est du terrorisme.
Pour le prédicateur, chaque jour à Gaza, en Afghanistan, des centaines de frères et de civils meurent sans que personne ne trouve à y redire, sans que ça n'émeuve personne. Alors, désormais, ce serait, comme disent les Israëliens : oeil pour oeil.
On suit peu à peu le changement intérieur, le chemin flou que parcourt la conscience qui s'égare : les regards dans le vague, dans les transports, de ces trois jeunes, m'ont beaucoup marquée. On sent à la fois le désarroi et le désespoir, le besoin de se raccrocher à quelque chose de plus grand, de mieux, de plus noble. J'ai trouvé la mise en scène particulièrement belle et les acteurs vraiment habités par leur rôle, leur conférant une très grande intensité dramatique. Bien sûr, les raccourcis, clichés et préjugés sont assez fréquents - et c'est un détail qui nuit à l'ensemble - mais ils servent tout de même bien la puissance du propos dramatique.
Le film rend très bien compte de la mécanique rhétorique du salafisme qui veut rétablir cet islam des origines, perçu comme un âge d'or et que le djihad seul permettra de faire revenir. Si on ne peut évidemment pas excuser le terrorisme, du moins peut-on, grâce à ce genre de film, éclairer, expliquer les raisons profondes qui motivent les djihadistes, les motifs qui leur parlent et l'esprit qui les anime. Et qui leur fait bien vite préférer la mort à la vie.
Une phrase m'a paru terriblement annonciatrice, sans le savoir, de tout ce qui allait nous traumatiser, en janvier et en novembre 2015. Lors d'un de ses discrets cours magistraux, le prédicateur dit à ses ouailles :
"Ils apportent la guerre chez les autres, on va l'apporter chez eux : on va leur montrer ce que c'est que le deuil, les larmes, les victimes innocentes : on va faire pareil qu'eux."