La Desna enchantée est sorti en Union Soviétique lors d’une période de grand bouleversement politique : le dégel. Cette période est caractérisée par une libéralisation de la vie en URSS, autant politique que culturelle. Cela a permis a de nombreux artistes de s’exprimer plus librement. Cette ouverture s’est vite confrontée à la répression du pays. Le film d’aujourd’hui illustre la tension entre ces divergences. loulia Solntseva était mariée à Alexandre Dovjenko, autre grand réalisateur, avec qui elle a collaboré sur certains de ses films : Arsenal, La Terre…
La Desna enchantée est un drame historico-social qui prend place dans le nord de l’Ukraine, et qui suit des habitants des rives de la Desna, pendant la révolution industrielle. Sont explorés les difficultés de la vie quotidienne de l’époque, ainsi que de grandes tensions politiques qui mènent à la guerre.
Le film arrive à représenter une forme de vie authentique des habitants du pays, tout en y insérant une part de mysticisme quasi-christique. Entre les chants bibliques harmonieux, et l’icônisation du personnage d’Ivan qui renvoie à Dieu, lorsqu’il porte une croix et qu’il guérit un garçon aveugle notamment. Le manichéisme du film aussi est biblique, très allégorique, et illustre le camp du bien et du mal, par l’intermédiaire de la rivière Desna.
Cette rivière semble être un personnage de l’histoire, elle influe sur les choix des personnages par son mysticisme : une chose étrange unit l’humain à la nature. Ce thème, bien que rappelant Tarkovski par son rapport à la beauté et son lyrisme spirituel, est mis en scène d’une manière assez différente. La réalisatrice préfère filmer la nature en gros plans, créant une vraie proximité avec ses personnages.
Comme chez Ozu, la caméra se place souvent à hauteur d’homme, contemplant les vies comme un personnage à part entière. L’organique permet aux relations entre les différents personnages d’exister, et à toutes les thématiques proches de l’humain de s’emparer du récit : la famille, l’amour et la mort…
Les plans chez la réalisatrice sont plus découpés que chez un Tarkovski aussi, toujours contemplatif, mais le montage fait parti du voyage. Son type de réalisation est plus fluide et moins poseur. Bien qu’il y ait des plans fixes, il y a aussi beaucoup de mouvement, de longs travellings latéraux semblant incarner le pinceau du peintre, et être les tableaux du réel, de la vie ukrainienne. Il y a un côté très ludique aussi à voir ces personnages avancées au rythme de ces travellings, s’engouffrant petit à petit dans des contrées hostiles, sous les yeux impuissants des spectateur.
Le montage bien qu’il soit dynamique, ne se prive pas à créer l’errance, par de longs plans, certes, mais aussi par des motifs répétés tout du long : les éléments (l’eau et la terre), mais aussi des détails plus spécifiques comme les fleurs de lotus semblant être issues d’un rêve.
Le film est visuellement somptueux, donnant vraiment envie de méditer sur la vie, il y a une réelle profondeur émotionnelle qui émane de La Desna enchantée. La magie du film se confronte à la réalité violente du monde qui entoure les protagonistes. La musique ne créée jamais de la distance avec ce qu’il se passe à l’écran et vient accompagner, souvent par mickeymousing, l’action, la rendant souvent poétique, en quintuplant l’émotion du spectateur. La musique est d’ailleurs composée par le grand Dovjenko.
Cette ode poétique à la condition humaine et à son rapport à la nature peut être bien compliqué à suivre pour ceux ne connaissant pas bien l’histoire de l’Union Soviétique, cependant l’atmosphère, elle, est indéchiffrable et accessible à tous.
loulia Solntseva, par son rapport au monde et sa beauté, ainsi que son existentialisme profond, nous livre une oeuvre forte, qui, même si trop courte, 1h16 au compteur, arrive à faire naitre quelque chose d’assez profond, à mi-chemin entre mélancolie du réel et lyrisme fantaisiste.