Critique de La Double Vie de Véronique par -Rho-
La Double Vie de Véronique c’est essentiellement du jaune et une bouche. C’est la couleur qui confère au film sa beauté (et son intérêt), s’étendant à toutes choses : aux figures humaines, aux rues, au ciel. Elle procure à l’image un caractère mystique, elle devient l’expression d’un esprit. Le jaune personnalise l’image, on ne filme pas simplement une foule, une rue, une place ; mais une vision. La manière dont est perçu l’environnement, dont le monde est découvert, ausculté, est constamment rendue visible. Le film s’ouvre sur un paysage à l’envers, puis une enfant observe ce qui l’entoure au travers d’une bille. Les éléments regardés sont transformés, modifiés, toujours dans cette logique de rendre compte d’un regard particulier. D’abord celui de Weronika, puis de Véronique, entre lesquelles se joue quelque chose de la transmission, transmission d’une perception (ou continuité).
C’est aussi une bouche, celle d’Irène Jacob, interprète de Véronique et Weronika. C’est peut-être là que le film s’alourdit, perd de sa beauté. La bouche avale tout, les larmes coulent dedans, elle aspire l’air et l’expire bruyamment. D’elle sortent les pleurs et les gémissements. Tout à son contact est sensuel. Il y a une certaine laideur dans ces aspects physiques qui contrastent avec une majesté du film qu’on peut qualifier d’intellectuelle. Les corps se heurtent, s’écrasent les uns contre les autres. Les enveloppes charnelles sont négligeables et seul brille ce qui s’en échappe : les voix, leur chant. A la mort de Wéronique, au beau milieu d’un concert, son corps heurte lourdement le sol, s’y écrase inévitablement ; tandis que la caméra entame un mouvement survolant le public, comme libérée. A la danse maladroite des choses terrestres répond une musique de l’âme.