Inutile de dire que La douleur est une adaptation très littéraire du roman de Duras, cela saute aux yeux dès les premières secondes. Un visage à moitié obscurci par le faible éclairage d'une pièce, un mouvement lent de la caméra qui tente d’appréhender le personnage, et la douce voix off de Mélanie Thierry qui nous gagne les oreilles. Avec son rythme lancinant, ses nappes de musique dissonantes et inquiétantes, ses errances dans la ville souvent floutée ou prise dans de gros plans au risque de l'abstraction, La douleur est un film calme en apparence, mais qui sait très bien gérer l'agitation interne de ses interprètes, pour mieux nous émouvoir sur le long terme et mettre en lumière le désarroi de cette femme dans son attente interminable pour avoir des nouvelles de son compagnon. Le long-métrage est agrémenté de plans très longs où l'on suit l'actrice marcher entre tous ces passants qui, eux aussi, sont tout aussi perdus qu'elle, ponctué par des scènes vraiment belles où les ombres menaçantes de la ville viennent arpenter les intérieurs d'immeuble pendant la nuit. Niveau mise en scène, c'est donc à la fois très recherché et en même temps cela évite le piège du film statique, buté sur l'assurance de ses cadres. Au contraire, tout se fait fuyant, aérien, on navigue d'une séquence à l'autre, d'une onde à l'autre (on écoute beaucoup la radio), d'une voix à l'autre, et c'est ce sentiment de voyager au cœur de cette période trouble qui est le plus réussi à mon sens. Finkiel parvient à donner corps à cette ville pourtant souvent en arrière plan, à ces personnages qui parlent finalement peu, ou qui sont aussitôt repris par les commentaires de Duras, qui analyse, dissèque leurs états d'âmes.
Magimel, Thierry, et même Biolay qui m’insupporte dans certains de ses rôles sont très bons ici, et les mots de Duras coulent avec une certaine fluidité grâce à eux. Ce n'est pas un texte évident, mais d'un autre côté, le traitement lui donne justement ce côté naturel, liquide. "A partir de maintenant, je consigne tout" Duras fait la promesse à son mari qu'elle relèvera le moindre détail, qu'elle tentera de percer le mystère de cet homme qui semble avoir le pouvoir de vie ou de mort sur son destin. Tout compte, Finkiel donne à sentir le quotidien des résistants à l'affût du moindre danger, de la moindre bizarrerie dans l'incertitude des mois avant la libération. Les gestes, les objets comme les plats d'un restaurant deviennent des éléments essentiels. "La crème fraîche déborde de tous les plats, les viandes ruisselantes, le vin...". Un jeu se lance alors, dans ces rendez-vous entre ce collabo qui ne sait pas qu'il va bientôt tout perdre, et cette résistante qui ne s'en cache pas. Séduire. Un jeu de pouvoir où chacun croit tenir l'autre.
Je pense n'avoir rien à reprocher au film, il est d'excellente facture et la reconstitution est très bonne, même si on sent forcément les contraintes du tournage dans un Paris réaménagé depuis ces années 40. L'essentiel, la substance du très beau texte est là, sublimé par une actrice talentueuse et une mise en scène inspirée.