Avènement d'un héritier, sur fond de polar social

Pour les spectateurs français, la ville de Mendoza reste associée au road-movie très réussi de leur compatriote Édouard Deluc, "Mariage à Mendoza" (2013), long-métrage aussi drôle qu'émouvant et qui réunissait un inoubliable duo d'acteurs, Philippe Rebbot, dans son plus beau rôle à ce jour, et Nicolas Duvauchelle.


Rien de semblable, ici. Santiago Esteves, réalisateur argentin originaire de Mendoza, revient vers sa ville pour en filmer la face non touristique, ses immeubles et petites maisons infiltrés de territoires végétaux et de bâtiments à l'abandon. Le Mendoza pauvre des laissés-pour-compte, depuis plusieurs générations déjà.


On y découvre le jeune Reynaldo (Matías Encinas, au jeu aussi sobre qu'intense), cherchant abri et protection auprès de son frère, après s'être fait chasser de la maison maternelle. Dès lors, la progression du scénario est sous-tendue par deux vecteurs antagonistes : une descente aux enfers plus ou moins rapide (celle du héros et des siens, plongeant dans la délinquance et dans tout ce qu'elle implique de poursuites et de représailles ; celle du protecteur imprévu qui s'offre sur son chemin et que l'on sait déclinant ; celle des barons et des policiers corrompus, qui manipulent de la dynamite à chacun de leurs gestes) ; et une tentative de reconstruction, annoncée par le titre et menée par l'ancien agent de sécurité Carlos Vargas - Germán De Silva, mêmes sobriété et intensité, ajoutées à la réserve d'un chef.


Les scènes de jour, liées à la reconstruction par le biais de l'"éducation", côtoient les scènes nocturnes, prédominantes et associées au mouvement de chute inexorable. On retrouve ici l'une des tendances, très sombre, du cinéma latino-américain actuel, depuis "Tuer un homme" (2014) d'Alejandro Fernandez Almendras, jusqu'à "Plus jamais seul" (2017) d'Alex Anwandter.


Mais Santiago Esteves refuse de plonger tout entier dans cette noirceur, si bien que, accompagné par la très belle musique de Mario Galván, qui crée par moments un effet de western urbain, le film privilégie finalement le lien de transmission, celle-ci fût-elle paradoxale et peu orthodoxe. Ayant puisé dans ses études de psychologie toute la finesse nécessaire à la construction d'un personnage, le réalisateur campe subtilement le duo masculin formé par le coupable et son rédempteur. Au fil des scènes - et du fait que le "Rey" du titre renvoie non seulement à l'abréviation de "Reynaldo", mais aussi à sa signification espagnole : roi -, on a véritablement le sentiment d'assister à l'"éducation d'un roi"... Mais le roi de quel royaume, et avec quelle promesse de longévité ? La volatilité des destins humains sur ces territoires laisse peu d'espoir...

AnneSchneider
8
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le 12 nov. 2017

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Anne Schneider

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