« Euh... eh... hum... grehoujyavéureiterus... ssétaycwâçephylm ? »
Voilà à peu de chose près ce que vous vous direz lorsque vous sortirez d'une séance de La fable du coq, d'Avénarius d'Ardronville. Après une telle expérience, on ne sait si on a aimé ou détesté, si le prix du cinéma, décidément de plus en plus élevé, valait la peine et le déplacement, ou si au contraire, vous eussiez mieux fait d'aller au cirque, ou voir le dernier spectacle de Kev Adams (quoiqu'il soit permis de douter de la pertinence de ce dernier choix). Tout au plus peut-on raisonnablement supposer que vous serez pris d'une irrépressible envie de rimer. Si c'est le cas, le travail du film est accompli.
Car de poésie, il n'est question que de cela. Jugez plutôt : un poète capture le coq de son voisin facteur afin de l'accorder, jugeant qu'il y va de l'harmonie du monde, dans la mesure où tous les animaux s'accordent sur le coq, premier à chanter.
Sans doute trouverez-vous ce point de départ de notre histoire un peu déroutante (si ce n'est pas le cas, je connais un excellent psychologue). Mais ce n'est que le début. Le film n'est qu'une succession de scènes aussi étranges les unes que les autres, ou il sera question du coq, d'un orchestre, d'animaux divers et variés à accorder, d'un couple étrange et de boîtes aux lettres. Le tout en un film cohérent d'une heure et vingt minutes.
Si vous êtes habitué au cinéma de divertissement américain, sans doute serez-vous un peu dépaysé. Ici, pas d'explosions (l'action la plus violente du film est une engueulade entre deux vieux copains), pas de méchants (si ce n'est peut-être l'inquiétant et fort bien habillé voisin du facteur), pas de monde à sauver (seulement la voix d'un coq)... Et puis c'est un film « amateur », les comédiens ne sont pour la plupart pas des professionnels, et le fil fut tourné pour le prix d'une bouchée de pain (ou de pellicule, met préféré de Christopher Nolan comme le dit la légende).
Et parfois cela se voit : le film est parfois un peu ennuyeux, certains dialogues se chevauchent au point d'en devenir inintelligibles, quelques scènes oscillent entre l'absurde et la folie, et il est parfois difficile de suivre le délire d'Avénarius, que l'on a parfois tendance à voir comme la plus parfaite ordure, tant son idéal poétique semble justifier tout et n'importe quoi (surtout n'importe quoi). Là encore, c'est normal : La fable du coq demande un investissement particulier, un effort pour dépasser ses imperfections et apprécier sa richesse.
Car oui, richesse il y a. Ce film est un véritable hymne à la poésie, à la créativité. Le délire du poète, si étrange qu'il soit, nous invite au rêve . Le peu de moyen n'empêche pas certaines scènes très réussies (comme la dance du coq et de son maître postier) et il se dégage une atmosphère irréelle, presque onirique, de laquelle vous ne sortirez pas si facilement après la séance...
De plus, sachez que l'oeuvre est accompagnée d'une superbe bande-originale, composée pour l'occasion par un ami du réalisateur/acteur principal/protagoniste. La noble simplicité des morceaux va de pair avec une réalisation sobre mais qui se permet parfois de belles envolées (comme ce plan du journaliste vu du dessus, au début du film).
Et pour finir, lâchons le vilain mot : ce film est original. Il livre une vision du monde rarement vue dans les salles obscures. En cela, il rejoint le 13è guerrier, Gangs of New York et Dune : des œuvres très imparfaites, mais qui au moins ont tentées quelque chose de neuf et y arrivent parfois. Cela n'en fait pas des chefs d’œuvres, ou même parfois de bons films, mais cela en fait des films uniques en leur genre et à leur manière, culte. On souhaite une telle destinée au bébé d'Avénarius d'Ardronville, avec l'espoir qu'il trouve un public nombreux et capable d'apprécier l'appel à l'affabulation (au sens strict, la fable) au cœur du monde. Si certains comprennent, les auteurs du film pourront sabler le champagne : la poésie est passée.