Le choix d'expérimenter le point de vue du bourreau, (héritage du point de vue narratif initié par Robert Merle en 1952) , s'il apporte la distance nécessaire à l'analyse en déroulant le fil du contexte idéologique qui transforme un homme en bourreau, demeure plus délicat à appréhender lorsqu'il ancre sa narration dans la psyché de ceux qui ont développé l'idéologie en question.


La proximité inévitable, induite par l'œuvre avec celui dont elle s'attache à suivre les pas, peut effectivement prendre la forme non pas d'une justification, mais développer une once d'empathie en expliquant les ressorts psychologique de l'homme par le événements qui ont mené à la construction de sa personnalité.


Sur ce point, force est de reconnaitre que l'approche de Joachim Lang qui prend soin de ne pas donner de background à son personnage (Goebbels), que l'on saisi sur le vif, adulte d'abord en 1945, puis à "ses débuts", mais en homme à la personnalité déjà achevée en 1937 est brillante. Nul ne sait ni au début, ni au terme de cette chronique de la manipulation médiatique au temps du 3ème Reich, si "Her Doctor" a subi des traumatismes d'enfance expliquant son ignominie .


Pourtant dès le début de la fabrique du mensonge, le sentiment que le cinéaste cède à la tentation de la justification est prégnant, et comme pour s'excuser d'analyser froidement des ressorts propagandistes (rejoignant Merle en cela aussi, il montre des hommes au travail), il insère dès l'ouverture des "cartons" explicatifs ou qu'il le peut des images d'archives des camps, comme s'il destinait son propos à un auditoire qui aurait fait l'impasse sur le programme d'histoire de troisième. Evidemment, le propos est didactique et rappeler l'horreur ne sera jamais contestable, mais les allers-retours trop systématiques entre images d'archives et de fiction amène une redondance un peu pénible, d'autant que les acteurs souffrent de cette comparaison avec et les "modèles" historiques, de même que la mise en scène figée parait bien étriquée au regarde du "gigantisme" des images propagandistes de l'époque.


Evidemment, la description et l'analyse des mécanismes de propagande, point central du propos, est édifiante, notamment en ce qu'elle fait écho aux pratiques de contrôle et de manipulation de l'information en usage encore aujourd'hui encore au sein de nos sphères dirigeantes, et parce que finalement, dans ce domaine "Führer und Verführer" donne le sentiment désolant de venir s'abreuver à la source.


Mais aussi évocatrice soit-elle, cette similitude brouille un peu la perception des enjeux, et conduit trop souvent à analyser les stratégies de Goebbels en regard de celles de notre époque, amoindrissement leurs visées diaboliques ; et ce n'est pas l'enchevêtrement d'événements (le film est bien trop court pour rendre compte correctement de la période couverte) qui n'a d'autre effet que de perdre le spectateur, qui donnera le supplément d'émotion qui fait cruellement défaut ici.


Yoshii
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