La fabrique du mensonge est un film insignifiant portant sur un sujet qui ne l'est pas. Et c'est un problème.
Courage aux cinéastes qui osent s'attaquer à la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement au nazisme. La tâche n'est pas facile et occasionne souvent des ratés.
Joachim Lang a l'air d'en avoir conscience sans pour autant en avoir pris la mesure.
On va faire une liste des petits problèmes purement éthiques avant d'aborder le film en lui-même :
- Le titre : ultra-aguicheur, les coulisses du pouvoir voyez-vous, une plongée vertigineuse dans la propagande nazie. C'est non.
- La citation sur l'affiche : c'est moi qui décide de la vérité ou quelque chose comme ça : l'origin story du méchant suprême, ingénieux, machiavélique, et donc romantisé. C'est non.
- Avant le début du long-métrage, une suite d'avertissements particulièrement malvenus nous assaillent : c'est un film pour l'histoire, un film nécessaire, qui va changer la vision des gens. Je [notre cher Joachim qui décidément a un sacré melon] fais un film pour l'histoire, un film primordial. C'est non.
- La liaison maladroite avec les démagogues du présent : bien que cela soit légitime (on est aux portes du nouveau nazisme porté par l'extrême droite et l'ultra gauche), on dirait que cela s'adresse à un troupeau : voyez-vous, populasse, je vais vous éduquer, ce film n'est pas qu'une œuvre de fiction, c'est aussi une œuvre d'art d'une portée éclatant les frontières du passé et du présent et vous permettant de mieux appréhender le futur. C'est non.
- Une forme d'épilogue moralement condamnable (sans spoil) avec une rescapée des camps parlant face caméra, en mode plus jamais ça et nous sommes tous des êtres humains. En plus d'être complètement fleur bleue, ce passage est inutile : on a passé le cap de l'émotion, maintenant il faut de l'action, et n'importe quel film n'est pas digne d'abriter ces témoignages, et les altère s'il est mauvais.
Et c'est le cas. La fabrique du mensonge est un mauvais film.
Tout d'abord, c'est un naufrage technique : une mise en scène digne d'un téléfilm M6 et une photographie des plus crasseuses que j'aie pu voir (je suis pas bête, je comprends l'ambition de faire transparaître par l'image la dégueulasserie des personnages, mais ce n'est pas une raison pour justifier 2h d'ignominie esthétique).
Du côté du jeu, c'est relativement convaincant. Les acteurs sont bien. Petit problème : Hitler. Un petit criminel de guette ridicule ayant un faible tout particulier pour les gâteaux à la crème et dépassé par son emploi du temps certainement très chargé. Ô, je vois le but derrière cela ! La banalité du mal ! Décidément, c'est si réussi que le bonhomme provoque le rire, notamment lorsqu'il évoque des enfants qui se font tuer. Mais que c'est hilarant !
Et c'est là que je vais faire ma petite parenthèse boboïsante élitiste : on voit bien que le but du film est de toucher le public le plus large possible, si bien qu'il s'ultra-simplifie, cherche à être accessible à tous, à ne pas choquer, quitte à ménager des petits moments de comédie. C'est grave de faire ça. On ne vulgarise pas l'histoire sous prétexte de faire un film universel. On n'humanise pas les monstres pour faire comprendre au petit spectateur que l'abjection est humaine, surtout quand la démonstration est aussi mal exécutée ! C'est un film qu'on pourrait qualifier d'aguicheur, de putaclick/putaspectateurs.
Et puis, quel privilège pour un réalisateur d'être aussi proche de ceux qui sont à l'origine des rouages de l'histoire (ironie) ! Petit Joachim aime beaucoup rentrer dans l'intimité des hauts dignitaires nazis, et puis il en a sous la semelle ! Si bien qu'on a droit à des scènes d'intérieur tout à fait dispensable et à une revue wikipédique de tous les évènements de la guerre, sur 7 ans ! En étendant son récit de 1938 à 1945, le scénariste a fait une grossière erreur. C'est impossible à concentrer dans un film de 2h. Si bien que typiquement, le film n'est qu'un empilement de faits historiques, et plus ou moins romancés. Et pour ne pas perdre de temps ni de vue son personnage principal, on a trouvé une super astuce ! Goebbels est présent à toutes les étapes clé ! Il parle avec Hitler quand celui-ci apprend que les soviétiques ont pitoyablement réduit l'armée allemande à néant. Il est le premier à qui Himmler confie son ingénieuse idée de camps de la mort. Hitler a toutes ses idées de génie (ironie haha) avec Goebbels dans la pièce. Quelles coïncidences !
Parenthèse féministe : faire passer sa femme pour une fauteuse de trouble et lui comme un petit mari exaspéré (tout en ayant le cœur brisé à l'idée d'avoir été interdit de détenir deux femmes dans son lit et sans son cœur, pauvre chou) est de mauvais goût.
Ça ne raconte rien, c'est vide, nul et non avenu.
Passons à ce qui a déchaîné les foules : les images d'archive ! Ne jamais faire ça dans une fiction, notamment lors des discours ! Là où ça pèche bien plus, c'est que c'est un cache-misère doublé d'un faire valoir historique, ce qui est risible.
Et puis au final, qu'apprend-t-on sur Goebbels ? Sur la fabrique du mensonge ? Peu de choses si ce n'est que notre cher propagandiste était un sacré génie ! C'est tout ? Oui. C'est ce qu'on appelle un hors-sujet. Un énorme hors-sujet. Les seules scènes de propagande c'est : nous devrions faire croire aux foules que les ennemis ils sont méchants ! / oh ! Un Juif a tué un policier ! Tienstienstiens, allons à fond sur l'émotion afin de créer de la colère chez le peuple ! C'est d'un niveau et d'une bêtise...
Comme dit précédemment, vouloir embrasser la totalité d'un évènement de cet ampleur ne pouvait mener qu'à un suicide cinématographique.
Et pour finir, quelque chose qui m'a bien énervé : Goebbels n'arrête pas de dire des phrase du type : nous sommes les maîtres de la manipulation de masse ! Nous sommes les virtuoses de la propagande ! Nous manions si bien la foule ! Suivi d'un petit rire diabolico-bourgeois). C'est insupportable : regardez comme il était cynique ! Petit public ! Regardez comme je démasque le méchant Goebbels !
Je ne m'étonne pas que le film n'ait pas reçu l'autorisation d'être visionné à titre préventif et documentaire par les petits allemands d'aujourd'hui (dans le cadre de leur scolarité).
La fabrique du mensonge n'est tout simplement pas un film intelligent, et peut presque se révéler dangereux, car à force de trop fantasmer la proximité avec un monstre, on sombre dans le plus abject des contre-productivismes.
Mais ça se laisse gentiment regarder ! Or, ça ne devrait pas se laisser gentiment regarder. Bref, c'est raté.