La Famille Addams avait disparu des écrans avec ce nouveau millénaire, balayant son gothique naïf et bon enfant. Seule une comédie musicale en 2009 avait fait revivre cet univers. Pourtant, depuis l’excellente série des années 1960, qui reprenait les illustrations de Charles Addams pour en constituer un monde cohérent, au délicieux film de 1991 et à sa suite deux ans plus tard et jusqu'à la fin des années 1990, les charmants membres de cette famille hors normes s’étaient incarnés en différentes séries, avec des acteurs ou en dessin animé, en films ou téléfilms ou en jeux vidéo.
Le retour de la famille la plus délicieusement morbide n’était peut-être qu’une question de temps, mais les annonces se sont succédées sans concrétisation jusqu’à le projet prenne la forme d’un film d’animation en 3D. Conrad Vernon et Greg Tiernan réalisent, ils avaient déjà travaillé ensemble sur le très adulte film d’animation Sausage Party, sur un scénario de Matt Lieberman et Pamela Pettler, qui connaît bien le macabre familial puisqu’elle a déjà travaillé avec Tim Burton.
La bande-annonce surprend, l’animation choisie semble rudimentaire, certains designs apparaissent un peu trop basiques. Elle ne me fait guère envie, mais j’avais malgré tout envie de lui donner une chance. Aux États-Unis, le film sort avant Halloween, en France c’est au début du mois de décembre, afin d’offrir un film familial pour les vacances de fin d’année. L’esprit de Noël est loin, mais il y a malgré tout dans ce retour de la famille Addams des qualités qui permettent de passer un bon moment devant.
Contrairement à la série télévisée ou au film de 1991, celui-ci commence par raconter les débuts de cette famille. Alors que Gomez et Morticia vont se marier, les habitants de leur village les chassent. C’est sur le chemin de leur exil forcé qu’ils font la rencontre de qui deviendra leur majordome, Max, mais aussi leur nouvelle résidence, un vieux manoir abandonné, lugubre et sinistre. Le lieu idéal pour les tourtereaux qui n’aiment rien de moins que les toiles d’araignée, les vieux orgues et les instruments de torture pour se détendre.
Cette introduction permet d’ajouter un nouvel élément à leur personnalité, celle du souvenir d’avoir été pourchassé, d’avoir été chassé car différent. L’hospitalité aveugle de précédentes incarnations est donc ici atténuée. Mais cela n’enlève rien à leur gentillesse.
Car les années sont passées, la famille s’est agrandie. Pugsley est un petit garçon qui aime jouer avec les explosifs, Mercredi est une jeune fille désabusée. L’entourage a changé, sous le brouillard qui enveloppait la bâtisse, un quartier résidentiel flambant neuf, coloré et moderne s’est crée, sous la houlette de Margaux Needler. Une entrepreneuse dynamique et souriante, star de sa propre émission de télé réalité. Mais son sourire cache bien des grincements de dents devant cette maison, verrue de son paysage, et de ses occupants. Ses membres, intrigués, veulent s’intégrer à ce monde coloré, mais tiennent à garder leur personnalité. De plus, Pugsley doit suivre un rite de passage, ce qui va faire venir tout le reste de la famille, tandis que Mercredi, en pleine crise d’adolescente, va entraîner avec elle la fille de Margaux.
C’est un scénario bien touffu qui nous est offert, qui cherche à capitaliser sur chaque moment. Il faut bien reconnaître que chaque intrigue avance avec une certaine autonomie, la conclusion reliant le tout. Les bonnes idées ne manquent pas. Pugsley gagne une plus forte présence que d’autres incarnations, et son désir de faire honneur à son père est classique, mais agréable. Faire de Mercredi une adolescente impassible mais en pleine crise de rébellion était un pari risqué, mais qui se révèle vivifiant. Le personnage est froid, mais ses répliques ironiques fonctionnent, ses écarts adolescents amusent. Sa mère ne sait que faire, là encore le regard des autres est important, avec sa belle-mère qui juge son comportement maternel.
Bien sur, l’incongruité de la famille Addams fonctionne mieux quand elle est confrontée au monde extérieur, avec des valeurs différentes. Le miroir déformant est traversé par Mercredi, mais ce cadre moderne est intéressant à plus d’un titre. Il peut s’amuser de certains travers modernes, tels que cette urbanisation toujours plus belle et prometteuse, mais aussi en critiquer d’autres. L’esprit de groupe est parfois un danger, la rumeur est devenue virale, exploitant les réseaux sociaux. Les personnalités ont parfois une influence trop grande, la célébrité ne devrait pas être une raison pour accorder de la confiance à n’importe qui.
Film familial oblige, les critiques sont masquées, mais le résultat peut faire réfléchir, adultes comme moins grands. L’ode à la tolérance que représente le film, que ce soit le regard extérieur des gens sur la famille Addams et même au sein de celle-ci est un beau message. Il est par contre dommage qu’il soit servi trop facilement avec une conclusion trop vite expédiée, dont la grossière naïveté est décevante.
Mais l’histoire est bonne, et les personnages sont attachants. Malgré quelques ajustements, leur personnalité a été conservée, avec un Gomez toujours aussi fébrile et amoureux, la belle et froide Morticia, les grognements de Max ou la loufoquerie d’Oncle Fétide. Les différents clins d’œil aux précédentes versions s’intègrent toujours très bien, l’introduction du thème musical mythique est ainsi un grand moment, de même que celui au générique de la série télé. Les traits d’humour sont nombreux et bien trouvés, à l’image de cette scène où Mercredi dit à son frère qu’elle l’aime, dans une mise en scène inspirée des films d’horreur. Le décalage avec les valeurs et les traditions de cette famille fonctionne toujours aussi bien, offrant de bons moments.
Et alors qu’on pouvait craindre le pire avec les images de la bande annonce, l’ensemble fonctionne assez bien. Les designs reprennent ceux des illustrations de Charles Addams en leur donnant un nouveau corps, avec tout le macabre qui sied à la série. Leurs expressions donnent vie aux personnages, avec toutes les émotions qu’ils vont pouvoir traverser, Mercredi exceptée. La simplicité de l’ensemble n’est pas au rabais, le film fourmille de petits détails, notamment dans la vieille bâtisse, tandis qu’il y a un certain soin dans les textures. Entre le monde désuet des Addams et celui coloré et bien aligné de Margaux, il y a un gouffre, que cette version arrive bien à restituer dans les architectures, les décorations, les couleurs et autres détails, tout ce qui permet de créer des atmosphères bien différentes. Le film ne rivalise pas de prouesses techniques, le budget n’est peut-être pas le même, mais il compense avec ces autres atouts.
Les charmants Hôtel Transylvanie avaient quelque peu comblé ce manque, celui d’un macabre tout public, d’une bonhommie monstrueusement drôle. Le retour de la série phare est une bonne nouvelle, car il est réussi. D’un point de vue visuel, mais aussi de son histoire. Malgré quelques faiblesses, c’est un régal à suivre, car cette version de 2019 est respectueuse des précédentes, tout en s’offrant de nouvelles perspectives. Les critiques ont été mitigées, ce qui est bien dommage, mais le succès public a été remporté. La famille Addams a beau aimer les cercueils, il aurait été dommage qu’elle reste trop longtemps dedans ou dans nos souvenirs poussiéreux. Grâce à ce succès, on peut maintenant espérer les retrouver plus régulièrement. Une suite est ainsi sortie en 2021.