Masashi Asada est un photographe japonais bien réel qui a connu la célébrité dans son pays grâce à des photos de sa propre famille, mises en scène de manière fantaisiste, voire hilarante. Le film de Ryôta Nakano revient sur le trajet de cet artiste singulier, dont l’irrésolution permanente peut constituer un motif d’irritation pour le spectateur, comme dans le film cela semble être le cas pour son frère aîné, bien plus à l’aise, bien mieux intégré dans le cadre strict de la société japonaise. La première partie de la Famille Asada est une pure friandise, pleine de douceur et d’amour – qui peut rappeler par instants par la subtilité de sa mise en scène, par son attention aux émotions fines des personnages, ainsi que par son indéniable bienveillance vis à vis de ses personnages légèrement farfelus, le cinéma de Kore-eda. On regrettera seulement un montage un peu trop rapide, sans doute adapté à l’impatience du public moderne, mais qui, parfois, ne laisse pas l’émotion pure s’installer d’elle-même.
La seconde partie de la Famille Asada marque une rupture dramatique, d’ailleurs bien négociée par Nakano, puisqu’il s’agit de revenir sur les lieux du tsunami de 2011 : Masachi y trouve une sorte de vocation tardive (il a atteint la trentaine, alors que son goût pour la photo date de ses 12 ans, lorsque son père lui a offert son premier appareil photo) : ce décrochage permet au film de préciser son thème central, le rôle de la photographie argentique – et de son support papier – comme vecteur de mémoire, aussi bien au niveau collectif (se souvenir des victimes d’un cataclysme inimaginable) que personnel (la société japonaise étant encore très centrée sur la famille). Voici donc Masashi nettoyant des photos récupérées dans les décombres de la ville dévastée, pour que les habitants en deuil puissent les récupérer et conserver une image des disparus. Cette partie du film, très émouvante, souffre néanmoins de déboucher sur une reconstitution de scène familiale autour de la présence du père disparu qui s’avère trop prévisible pour réellement fonctionner.
Heureusement, le scénario, plus malin qu’on le pensait a priori, nous réserve une surprise finale qui nous permettra de sortir de la salle un grand sourire aux lèvres !
On regrettera une indéniable superficialité du traitement d’un thème aussi riche : les difficultés du personnage central (Kazunari Ninomiya, découvert à 20 ans dans Lettres d’Iwo Jima de Clint Eastwood, et excellent) à mettre du sens dans son existence, ainsi qu’à fonder son Art dans une véritable réflexion philosophique (comprendre les gens qu’il photographie, oui, mais jusqu’où ?) ou artistique (le photographe doit-il être derrière l’appareil photo ou devant ?). De même, la relation entre mémoire et images mentales ou physiques aurait mérité une réflexion plus soutenue. On déplorera aussi que le personnage passionnant de Wakana soit littéralement abandonné par le film : Haru Kuroki est fascinante mais sous-employée, même si elle a été primée au Japon pour ce second rôle !
Il y avait là matière à quelque chose de plus consistant que le simple plaisir que la Famille Asada nous donne durant 2 heures passées un mouchoir à la main !
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/01/29/la-famille-asada-de-ryota-nakano-memoire-photographique/