Lumière sur les CODA, merci à l'équipe du film

J'attendais un peu ce film au tournant, car je ne savais pas du tout s'ils allaient me permettre de me retrouver dans l'histoire, et j'ai été agréablement surprise. Quand on est soi-même enfant de parents sourds, le film prend une dimension toute particulière. Au-delà de l'aspect comédie, il a des côtés très touchants, auxquels je pense que beaucoup de CODA (= children of deaf adults) peuvent s'identifier. Evidemment, toutes les histoires sont différentes, et toutes les familles avec des parents sourds sont différentes, mais quand je compare avec ma propre expérience, le film est une belle réussite. Je ne le vois pas comme un film sur la surdité, mais sur le rapport parents sourds/enfants entendants, et c'est sur ce point que mon appréciation se concentre.


Le principal objet du film est, à mes yeux, de nous parler de la séparation parents/enfants, qui est un pas déjà difficile à faire en temps normal, mais qui, dans ce contexte familial plus spécifique, est rendu encore plus dur. Je trouve que le film est parvenu à faire ressortir la difficulté que l'on peut avoir à concilier notre envie d'aider nos parents, avec notre propre vie personnelle. Notamment quand il s'agit de la perspective de quitter le nid familial, qui peut donner un fort sentiment de les abandonner. Lorsqu'on a été une aide au quotidien, c'est un pas difficile à franchir, accompagné de la réflexion typique du "comment vont-ils faire sans moi... ?". Alors évidemment, l'histoire et sa résolution n'ont rien d'extraordinaire, ni d'inattendu, mais ce n'est pas ce que j'attendais du film et je pense que ce n'est pas son objet. Le contexte dans lequel se place l'histoire se suffisait à lui-même.


Le passage que j'ai trouvé particulièrement frappant, où je me suis dit qu'ils avaient tout compris, c'est la scène lors de laquelle le père dit à sa femme que ce dont elle a vraiment peur, c'est qu'ils "se retrouvent seuls", si Paula venait à partir. Ils ont mis le doigt où il fallait. Idem pour le moment où la mère de Paula lui dit qu'à sa naissance, lorsqu'elle a appris qu'elle entendait, elle a beaucoup pleuré, car elle aurait préféré qu'elle soit sourde. Ce n'est pas le cas de tous les sourds qui ont des enfants (mes parents par exemple), mais il est vrai qu'avoir un enfant qui n'appartient pas au "même monde" que soi est une perspective effrayante. Il grandit selon des codes différents, connaît des expériences différentes et développe un rapport au monde différent du sien, et ça rend la communication et la compréhension de l'autre d'autant plus difficile. C'est pourquoi j'étais satisfaite par la scène lors de laquelle la mère de Paula explique qu'elle n'a "jamais pu encadrer les entendants", car c'est une réflexion que l'on retrouve dans la communauté sourde. Le mode de fonctionnement est tellement différent que les rapports sourds/entendants sont parfois difficiles. Les sourds vont se vexer de choses dont les entendants ne se vexent pas, et les entendants vont se vexer de choses dont les sourds ne se vexent pas ; et ainsi de suite, ce n'est qu'un exemple. Ça peut très vite ternir les rapports.


Si certains aspects ont été accentués, voire parfois surjoués, pour appuyer la dimension humoristique (la gestuelle exagérée comme lors de la scène chez le gynéco, entre autres), dans les expériences et dans les ressentis, quasi-tout m'est apparu comme un reflet fidèle. On passe beaucoup de temps à téléphoner pour eux ; on les accompagne à beaucoup de leurs rendez-vous, qu'ils soient médicaux ou non ; ils font du bruit dans tout ce qu'ils font ; les manières de voir ou penser les choses ne sont pas les mêmes... Et surtout, la relation qui se crée avec nos parents n'est pas tout à fait la même :-)


Les seuls éléments sur lesquels je chipoterais seraient plutôt sur la forme. Comme par exemple, l'humour des sourds, qui n'a pas été tout à fait capté, car contrairement à ce que laisse parfois penser le film, leur humour ne va jamais dans l'abstrait, les expressions, les sous-entendus. Un chat est un chat, et ce qui est rouge est rouge. Le mode de communication des sourds implique du direct, du cru (raison pour laquelle ils ont souvent un humour hypersexualisé d'ailleurs, leur corps est leur outil de communication et de connexion au monde). Tout ce qui relève de la métaphore, du second degré, ça n'existe pas dans la langue des signes. Ce que vous dites est exactement ce que vous dites. Du coup, quelques notes humoristiques tombaient un peu à plat à mon sens, parce que pas du tout fidèles.


Ils ont aussi bien fait ressortir le fait que les personnes sourdes peuvent parfois manquer de "filtre" dans ce qu'elles disent, être très directes, et dire les choses comme elles les pensent, sans prêter attention à la bienséance ou la politesse de rigueur. Je relèverais notamment la scène où Paula interprète les propos de son père au Maire, en en changeant complètement le sens pour rester polie. Ce genre de 'fausse traduction' m'est parfois arrivée, on est constamment obligés de s'adapter, donc j'ai trouvé particulièrement génial de le retrouver dans le film !


Louane a été vraiment bien dans ce rôle, surtout pour une première fois dans un film. Et quelle belle voix ! Je ne la connaissais pas avant de la voir sur scène à l'occasion de l'avant-première du Cinémed de Montpellier, n'ayant jamais regardé "The Voice", et elle m'est apparue très authentique dans son jeu. La scène où elle chante "Je vole" pour l'audition est sublime.


Bravo sinon aux acteurs pour leur apprentissage de la langue des signes pour le film ! Ils se sont bien débrouillés, et ont notamment bien intégré les codes comportementaux caractéristiques, qu'il s'agisse des expressions du visage ou des expressions corporelles, qui vont nécessairement de pair avec la langue des signes. Ce n'était pas parfait, mais seuls des sourds auraient pu faire mieux, ils ont fait du beau boulot. (Je comprends ceci dit qu'on leur reproche de ne pas avoir pris des acteurs eux-mêmes sourds, ça aurait été vraiment intéressant que cette opportunité soit offerte à des acteurs qui connaissent de base leur sujet, et ça aurait permis une représentation de la communauté plus fidèle). Karin Viard s'en est cependant, à mon sens, moins bien sortie que François Damiens, que j'ai trouvé exceptionnel dans les attitudes/le langage corporel. Karin Viard était un peu plus dans l'exagération dans certaines scènes.


Dans l'ensemble, un grand merci à l'équipe du film de s'être penchée sur le sujet. Le film est à la fois drôle et touchant, un joli condensé.


P.S : Je recommande également la lecture de "Les mots qu'on ne nous dit pas", de Véronique Poulain, dont l'expérience a inspiré le film.

MissKitty
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le 4 déc. 2014

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