Chez n'importe quel autre réalisateur, cette famille Tenenbaum aurait pu être bien terne, enlisée dans des problèmes vus et revus, pour en sortir un produite indigeste qui durant presque deux heures n'aurait rien fait d'autre que d'évacuer de complaisantes banalités.
Vous imaginez bien que si je choisis d’introduire cette critique de cette manière, c'est pour vous dire que c'est évidemment le contraire qui se produit ici. Ce n'est pas n'importe quel réalisateur qui décide de mettre en lumière ces génies aux problèmes insolubles, Wes Anderson pour qui la famille a toujours été et continuera d'être un élément central dans ces histoires est parfaitement à l'aise dans cet exercice de style. En introduisant avec une narration efficace toujours assez détachée du déroulement de son intrigue sous fond de " Hey Jude " Wes parvient immédiatement à pousser sa forme au paroxysme. Décalée, colorée, drôle, insouciante ou lourde de sens, sa patte unique, son style reconnaissable entre mille parvient à attiser la curiosité de spectateur en quelques mots, gestes ou plans.
Dès lors, la partie est gagnée et il pourra tout nous raconter et y déployer ses moments de grâce à coup de traveling et de slow motion pour nous convaincre définitivement que le bonhomme sait ce qu'il raconte. Et qu'il s'agisse d'aborder, suicide, dépression, addiction, deuil, tout passe sans avoir besoin d'accentuer son propos à coup de flashback, de larmes, de discours interminables ou de débats sans fin. C'est la une des clés de sa réussite et un exemple à suivre à mon sens, avec cette atmosphère et cette ambiance ambigu peinte dans un dédale de couleur et rythme fragile, il brise les codes du genre et envoie une palette d'émotions contradictoires, rire ou pleurer, être gêné ou fier, être mélancolique ou désirer aller de l'avant. Comme un bon vin, cette Famille Tenenbaum qui pourrait ressembler à un film mineur d'une filmographie de plus en plus forte mérite plusieurs visionnages pour être savouré à sa juste valeur.
On pourra y déceler le fil conducteur d'un schéma qui prend tout son sens et qui s'affirme de films en films à travers sa galerie de personnages victimes de la même phobie à différents degrés, le manque d'assurance. Gene Hackman qui préfère être lâche que de décevoir, Ben stiller qu choisi de priver ses enfants de liberté plutôt que d'affronter ses démons, Gwyneth Paltrow qui se cache dans cette salle de bain qui permet de capturer ses sentiments, Luke Wilson qui choisit la fuite à la peur du rejet, Owen Wilson qui n'assume pas ses décisions et s'évade de la façon la plus banale et néfaste. Peux t-on y faire un parallèle avec un jeune réalisateur à l'univers tellement marqué que l'imposer dans un monde bourré de codes et assez impitoyable avec ceux qui dérogent aux règles peut être assez terrifiant ? Toujours est-il que cette figure du patriarche ne cessera de se bonifier ( malgré de nombreux écarts ) avec le temps pour finir par l'une des plus belles relations vue dans sa filmographie entre Mr Gustave et Zero.
Quoi qu'il en soit La Famille Tenenbaum regorge de qualités, saupoudrée dans un bande son délicieuse, à coup de Clash, Dylan, Elliot Smith, interprétée à la perfection par une famille d'artiste au sein même de cette famille. Il est toujours bon d'y jeter un oeil 15 ans plus tard pour se rendre compte de la force de l'exercice proposé et de la précision et la justesse d'une mise en scène qui ne cessera de se bonifier. Chapeau l'artiste !