Au sein de la cour de la reine d’Angleterre, l’aristocratie s’affaire. Une marée de perruques inonde les couloirs, tout le monde cherche à s’attirer les faveurs d’une reine au caractère bien trempé et à la santé des plus précaires. Les faveurs, ce sont surtout les spécialités de femmes très proches de la reine. Jusqu’ici, il n’y en avait qu’une pour lui tenir compagnie, mais sa place va être convoitée… Qui sera donc La Favorite ?
Voilà maintenant quatre ans que le réalisateur grec Yorgos Lanthimos est parvenu à soudainement accroître sa notoriété, grâce à The Lobster, film satirique dénonçant les travers de la société d’une manière tout à fait originale et singulière. Un film qui m'avait montré toute la capacité du cinéaste à réaliser un film à la fois beau visuellement, et riche d’un point de vue scénaristique. C’est donc avec ce film que j’ai choisi de m’initier au cinéma du réalisateur grec, avant de découvrir La Favorite, film primé à plusieurs reprises aux Golden Globes et aux BAFTA, et faisant figure de concurrent de choix aux Oscars. Après avoir été justement séduit par cet atypique métrage qu’est The Lobster, et par l’univers de Lanthimos, j’étais donc assez enthousiaste et confiant en allant voir La Favorite. Et, une fois n’est pas coutume, impossible de ne pas admettre que la chute a été assez douloureuse, et l’expérience pénible.
Comme à son habitude, le cinéaste grec vient esquinter les codes de la société, mettant en lumière ses bassesses et ses travers. Le terrain est ici propice, avec cette aristocratie anglaise, cadre idéal pour mettre en scène le grotesque et l’exagération d’individus souvent dépeints comme superficiels. Au cœur des enjeux, une reine dépassée par ses responsabilités, meurtrie par la vie, et convoitée par deux femmes cherchant à s’attirer ses faveurs pour protéger leur situation. Et nous voici engagés pour dans un métrage de deux heures d’errances à base de machinations et de combines téléphonées et attendues. Ce qui partait sur les bases d’une nouvelle satire sociale finit par s’enliser dans un triangle amoureux qui tourne en rond, qui tente vainement de maquiller la langueur sous une belle photographie. Car La Favorite fera tout ce à quoi vous vous attendrez : la destitution d’une favorite au prix de l’autre, la tentative de résurrection, la victoire au goût amer, l’ambiguïté des personnages… C’est comme explorer une route que l’on connaît déjà, dont on connait l’itinéraire, sans forcément en connaître la fin, mais dont on a déjà une petite idée.
Il y a, dans La Favorite, une désagréable sensation de réchauffé. Pas d’apport de nouveauté, mais la restitution de codes déjà vus, l’exploration de relations entre des personnages qui s’articulent autour de rebondissements que l’on a déjà vu cent fois. Lanthimos nous avait habitués à nous prendre de court, à nous surprendre. Or, ici, il s’avère plus complaisant, et l’ennui s’empare vite de nous, face à un film incapable d’aller réellement au bout de sa démarche, de s’avérer tranchant comme il devrait l’être. J’ai tenté de m’accrocher, jusqu’au bout, de suivre cette lueur d’espoir qui m’extirperait de la monotonie qui alourdit le film, mais seuls les bras de Morphée sont venus s’agripper à moi quelque part au cours du film. Un sentiment d’autant plus frustrant que les actrices font leur part du travail, et la photographie du film est tout à fait belle, suivant mes bonnes impressions ressenties devant The Lobster, mais sans l’effet de surprise et de stupéfaction. La comparaison avec Barry Lyndon est souvent tentante et formulée, mais elle doit seulement se limiter au côté « films d’époque » et au discours grinçant sur la société, le film de Kubrick faisant preuve d’une langueur hypnotique et fascinante, et celui de Lanthimos se fourvoyant dans une intrigue répétitive et sans nuances.
La Favorite se présente comme un curieux triangle qui tourne en rond. The Lobster savait se renouveler, inclure une fracture dans son récit pour aborder des points de vue différents, ce que ne fait pas La Favorite, qui essaie de meubler autour d’une histoire des plus classiques et basiques. L’ambiguïté de ces personnages et leur noirceur ne suffisent pas pour donner de la saveur à cette satire qui n’arrive jamais à décoller, et qui s’évertue à vouloir inspirer le dégoût, se vautrant dans une exagération permanente et m’as-tu vu. Une belle coquille vide, en train de rafler les récompenses, à défaut d’avoir su emballer mon cœur. Parfois, il vaut mieux réviser ses classiques, avec un Eve pour la machiavélique quête de pouvoir et de reconnaissance, et Barry Lyndon pour la déchéance de l’aristocratie. Le divorce n’est pas entamé avec Lanthimos, mais ce n’est pas avec La Favorite qu’il aura mes faveurs.