Sorti en 2019 et réalisé par Yórgos Lánthimos, La Favorite réunit au casting trois actrices fortes, à savoir Olivia Colman dans le rôle de la reine d'Angleterre Anne, Rachel Weisz dans le rôle de sa confidente (et plus si affinité) Sarah Churchill et Emma Stone dans le rôle de la cousine (et rivale) de cette dernière Abigail Masham. Du réalisateur grec, je n'avais vu jusqu'à présent que The Lobster (2015) où on pouvait déjà apercevoir Rachel Weisz et Pauvre Créatures (2024) avec à nouveau Emma Stone ... et une fois de plus je ne suis pas déçu. On reconnait tout de suite la patte du réalisateur, avec les longs ralentis et les plans intimistes filmés au fisheye. Il nous livre ici sa version très personnelle de la fin de règne de la reine Anne, dans un huis-clos explosif mené par trois actrices au sommet.
Nous sommes au début du XVIIIème siècle et l'Angleterre est en guerre avec la France. Le contraste est saisissant entre la misère du peuple et le faste de la cour royale, entre courses de canards ubuesques, dégustations de mets improbables et des bals où les convivent se mettent à danser d’une manière anachronique. Le film montre une vie de débauche et d'une frivolité totale dans la noblesse anglaise. Et à la tête de ce pays, nous retrouvons la reine Anne à la santé fragile et qui a beaucoup souffert dans sa vie, puisqu'elle a perdu 18 enfants (remplacés symboliquement par 18 lapins). Heureusement, elle peut compter sur Sarah, son amie proche et sa "favorite" (d'où le titre du film) qui s'occupe d'elle et la conseille en ce temps de guerre avec la France. Parfois même, on se demande si ce n'est pas elle qui est aux commandes pour servir ses intérêts personnels. Mais voilà que sa cousine Abigail va être engagée comme servante. Peu à peu, elle va monter en grade avec différentes conspirations et coûts fourrés potentiels, jusqu'à devenir la nouvelle "favorite" de la reine.
Le film joue beaucoup sur l'ambiguïté de la relation entre la reine Anne et sa favorite Sarah, entre intérêts personnels et véritable amitié. Tout autant ambiguë est la relation entre Sarah et Abigail. Sarah voit sa position menacée par sa cousine qui sort un peu de nulle part, puisque venant d'une famille ruinée. Ayant touché le fond, elle n'a maintenant qu'une idée en tête, retrouver son statut au sein de la noblesse anglaise. C'est glauque à souhait, entre vérités et faux-semblants, amours et trahisons, vengeances et jalousies. Et le tout est sublimé par trois actrices en état de grâce et par la réalisation de Yórgos Lánthimos. Film après film, la grammaire lánthimosienne gagne en richesse et en style, poussant d’un cran les expérimentations visuelles. On est un cran nettement au-dessus par rapport à The Lobster, mais encore un cran en dessous de Pauvres Créatures.
Les décors du film sont somptueux, avec ces grands intérieurs majestueux, impression renforcée par la musique parfois oppressante et la mise en scène ciselée de Yórgos Lánthimos. Tout est filmé en contre plongée avec cette ligne de fuite qui donne de la profondeur à l'image. Ainsi, tout parait plus grand, plus démesuré, à l'image de l'égo des personnages. Et puis, à des moments bien choisis, lorsque la tension est à son paroxysme, on a droit des gros plans d'une force émotionnelle incroyable. Et bien sûr, un film de Yórgos Lánthimos ne serait pas un film de Yórgos Lánthimos, sans ces fameux plans filmés au fisheye qui rendent le film encore plus fort et étrange. Et toute cette technique est mise au service du fond, la forme épouse le fond.
Et puis, il y a trois actrices au sommet. Rachel Weisz hérite peut-être du rôle le moins avantageux des trois, ou tout du moins le moins flamboyant, mais sa performance pleine de sobriété et de justesse permet justement de faire briller ses deux partenaires de jeu Emma Stone et Olivia Colman. Ce sont donc surtout Emma Stone et Olivia Colman qui crèvent l'écran ici dans les rôles respectifs d'Abigail la servante qui va monter en grade et de la reine Anne à l'humeur instable. Emma Stone arrive à donner de l'empathie à un personnage pourtant d'une perfidie extrême. Abigail est d'abord montrée comme une fille douce et fragile qui aide sa cousine à servir la reine, mais peu à peu on comprend qu'en réalité c'est une arriviste de première, une garce prête à tout pour retrouver son rang au sein de la noblesse, allant même jusqu'à tenter d'éliminer sa cousine. Olivia Colman est celle qui se révèle le plus en offrant ici une palette exceptionnelle, passant par tous les états dans le film. Elle est très touchante dans son interprétation de cette reine à la santé fragile et à l'humeur instable. Dépressive, profondément seule et fleurtant avec la folie, la reine Anne est un rôle en or pour Olivia Colman, qui a bien méritée sa pluie de récompenses (meilleure actrice aux Oscars, aux Golden Globes, aux BAFTA, à la Mostra de Venise, et aux European Film Awards).
Yórgos Lánthimos est un réalisateur brillant, mais qui divise beaucoup aussi. Il a ses détracteurs, qui n’apprécient guère son excès de sophistication et sa froideur conceptuelle. Et puis, il y a ceux qui l'adorent et le vénèrent. Beaucoup considèrent La Favorite comme son film le plus accessible, ou tout du moins plus accessible que The Lobster et Pauvres Creatures, c'est une certitude ! Et pourtant, dans La Favorite il y a tout ce que certains adorent (comme moi) et tout ce que d'autres détestent chez le réalisateur dramaturge grec. (7.5/10)