Dans la pénombre du réverbère, l'inintelligible minimalisme tourmente l'inconscient enivré par la sensualité délétère d'une terreur suggérée. En maître des ombres et des lumières, Tourneur insiste sur l’horreur du non-dit, par des jeux stylistiques novateurs, pour laisser libre court à l’imagination bouillonnante de l’apeuré spectateur. Toute l’originalité réside donc dans la subjectivité d’un propos éthéré : « Moins on voit plus on croit ». Possédé par le démon de l’inspiration (et de nombreuses contraintes budgétaires d’où certains décors recyclés), Tourneur se fait innovateur d’une hantise costumée à l’image d’une ambigüité assidue de la femme dérobée, prédatrice mystérieuse.
Confiné dans son imaginaire, le spectateur se crée sa bulle de frissons à l’image du leitmotiv nocturne du parquet grinçant : ici l’impression permanente de se sentir suivi par l’ombre de la nuit se fait ressentir. La noire chasseresse traque sa proie à coup de talons sur le bitume : à l’aide de plans serrés et cadrés aux pieds, Tourneur rythme cette poursuite inquiétante, où la tension va crescendo, accentuée par l’absence oppressante d’une atmosphère sonore, dans une mécanique de l’horreur exclusivement hors champ. Tourneur s’amuse à jouer sur la subtilité de son récit. Il développe ainsi les codes d’un genre aujourd’hui stéréotypé. A l’image de la scène de la piscine et ses reflets subtils hypnotisant, le suspens se fait attendu, invisible, sombre, appuyé de ses bruitages et allusions clairvoyantes (peignoir déchiré), permettant d’éveiller la curiosité du spectateur entre claustrophobie et panique répulsive.
Le Cinéma constitue une immense machine à brasser des imaginaires. Un charme certain se dégage de La Féline, contribuant non seulement à l’envoutement d’un spectateur captivé mais aussi à l’accentuation de son suspens dans une lenteur magnifiée. Sur les pas d’Irena (sublime Simone Simon), incarnation d'une exquise démone, sa prestance féline parfume le sol, tel un parfum fleuri et perçant qui traverse la nuit. Les hommes, comme Oliver (Kent Smith), payeront de leur malheur pour profiter de son corps et de sa chaleur animale. Horrible torpeur, cauchemar, frayeur, découverte d’une dure réalité lorsque le prétendu fantastique se fait réalité : l’instinct animal souvent présage d’un dénouement horrifique (que ce soit dans Les Oiseaux d’Hitchcock, La Mouche ou même Les dents de la mer). Tourneur, véritable manipulateur, n’y cacherait-il pas une image de la féminité en proie aux doutes, angoissée par une relation amoureuse, exclue d’une société poussant à la solitude ? Voilà l’intention de Tourneur : amener le spectateur à réfléchir sur le hors champ, suivre toutes les pistes pour découvrir la spécificité qui lui conviendra d’accepter. Mais avant tout, Tourneur veut divertir son spectateur, le captiver par le pouvoir de l’inexplicable.
Ce qui est d’autant plus frappant dans Cat People, c’est cette atmosphère de malaise autour d’une angoisse magnifiquement mise en scène et interprétée, où ombres et lumières contribuent à cet environnement expressionniste perturbant. Tout en sobriété, Tourneur crée un mythe, l’évocation d’une suggestion flamboyante, délicat ensorcellement, au service d’un fantastique maitrisé.