Un pur drame historique "tiré d'une histoire vraie", piège à Academy Awards, comme les aiment tant les frères Weinstein pour glaner des statuettes et de la légitimité. Rien ne manque, des incessantes analepses jusqu'aux cartons avant le générique de fin façon "que sont-ils devenus ?" Je l'ai regardé en connaissance de causes, et parce qu'il s'agit d'un genre que j'apprécie, pour son exploration parfois romancée de faits historiques, et une réalisation traditionnellement classique et épurée.


La Femme au Tableau me laisse néanmoins sur ma faim. Non pas que le long-métrage n'arrive pas à conclure ses enjeux, mais en raison d'une mise en image en-dessous des standards habituels des deux producteurs - la photographie m'a paru bien terne - d'analepses d'une lourdeur infinie ne se distinguant que par la reconstitution de la Vienne des années folles, et d'une intrigue dont nombre d'aspects passionnants ne seront traités que superficiellement.


En effet, l'affaire parait limpide dès le départ, et propose peu d'enjeux : nous apprenons très tôt que l'avocat - incarné par un Ryan Reynolds que je ne souhaite pas descendre outre-mesure, mais en l'occurrence aussi terne que la photographie - dispose de toutes les preuves nécessaires pour gagner l'affaire. Et même sans connaitre les faits qui ont inspiré cette production, cette-dernière n'existerait probablement pas si la pauvre vieille dame campée par Helen Mirren avait perdu son procès. Surtout, le réalisateur ne semble pas passionné par son histoire, il enchaine les faits avec relativement peu d'emphase et ne souhaite pas faire monter la tension. C'est tout à son honneur de rejeter le spectaculaire, hormis lors d'une scène de poursuite avec des nazis, mais ce qu'il nous donne à la place n'a pas suffi à me contenter. Le film fonctionne malgré tout, grâce à son écriture et une Helen Mirren comme toujours excellente, mais passe à côté de son potentiel. Et je suppose que les Weinstein en ont conscience, ce qui explique que La Femme au Tableau ait été distribué en Avril et non pendant la période propice pour ce type de produit, à partir de l'Automne.


D'un point de vue purement personnel, je reproche au film de se borner à survoler la majorité de ses thèmes. Il traite son récit comme une simple histoire de spoliation, sauf que celle-ci fût orchestrée par les nazis, et que le propriétaire actuel est un état souverain - mais pas l'Amérique, qui aurait forcément été dans son bon droit - ce qui complique les faits. L'implication de l'Autriche durant la Seconde Guerre Mondiale, son devoir de mémoire tardif, justifié par l'excuse d'avoir été "envahi" par l'Allemagne, et surtout la propriété de l'art en tant que patrimoine national ne sont que mentionnés.


Car, selon les points de vue, cette histoire aurait pu être celle d'une vieille Américaine venue arracher à l'Autriche un de ses trésors culturels - dont l'intéressée elle-même souhaitait qu'il soit exposé à Vienne - pour ensuite le vendre une somme colossale à un propriétaire privé. Peu importe qu'elle ait fait don de cette fortune à des œuvres, ou que le portait fût obtenu de manière illégale aux yeux de la loi actuelle (mais pas de celle de l'époque) : pour le public autrichien, qui ignorait probablement tout de cette affaire, cela a dû représenter un choc. Un choc qui n'est absolument jamais traité par le film : les Autrichiens qui refusent de restituer le tableau apparaissent comme des passéistes bornés, qui rejettent tout devoir de mémoire, et toute la responsabilité de leur pays dans ce vol. Point. Un jugement moral pour le moins expéditif. Ils sont même à la limite d'être considérés eux-mêmes comme des nostalgiques du nazisme, heureusement, le réalisateur a le bon goût de s'arrêter juste avant le Point Godwin.


Pourtant, souvenons-nous bien que Le Louvre ou le British Museum doivent une part importante de leur incroyable collection à des pillages et achats frauduleux. Les gouvernements égyptien, turc, ou grec réclament en vain, depuis des décennies, les retours sur leur territoire de la Pierre de Rosette, des ruines d'Ephèse, ou de la Venus de Milo. La France et la Grande-Bretagne considèrent comme tout-à-fait légitime de refuser.
Petite anecdote. L'homme d'affaire japonais Matsukata Kojiro était féru d'art, notamment de peinture française ; avant la Seconde Guerre Mondiale, il constitua une fabuleuse collection, afin d'ouvrir un musée à Tokyo et d'en faire profiter ses concitoyens. Mais, ne pouvant la rapatrier avant le conflit, les œuvres sont cachées par le conservateur du musée Rodin. Après la défaite du Japon, et à la faveur du Traité de San Francisco, la France s'en empare au titre d’indemnités de guerre, et qu'importe qu'il s'agisse d'une collection privée. Le gouvernement consent finalement à la rendre pour apaiser ses relations avec le Japon, mais non sans l'avoir amputée de plus d'une dizaine de ses plus belles pièces.


Alors, vous me direz, la situation est différente, l'Autriche et le Japon de l'époque ont mené le monde jusqu'à la guerre, et le personnage incarné par Helen Mirren possède les meilleures raisons du monde de vouloir récupérer l'héritage de sa famille. Mais cela montre que cette affaire soulève de nombreuses questions morales qui n'intéressent nullement ceux qui ont créé ce film, et qui paraissent voir cette affaire en noir et blanc sans vouloir toucher du doigt sa complexité.

Ninesisters
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le 27 sept. 2015

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