La Femme aux seins percés par Alligator
sept 2010:
Sur bien des aspects ce film m'a fait songer à "Histoire d'O", une formation initiatique à la relation sado-masochiste dans le sens le plus concret et psychologique. Écrit et filmé avec bien plus de subtilité (encore que mes souvenirs du film "Histoire d'O" sont de moins en moins nets et que je suis peut-être en train de faire un injuste procès), cette "femme aux seins percés" s'attache essentiellement à suivre l'évolution sentimentale de Jun Izumi, un lent abandon à son amour-maitre. Elle s'offre corps et âme pour ne pas cesser de lui appartenir une sorte de cercle vicieux dans le sens premier du terme.
Jun Izumi m'avait déjà fait une très fort impression dans "Angel Guts: Red Dizziness" et surtout dans "Angel Guts: Red Porno". Elle faisait montre de valeureux efforts pour donner de la véracité à son personnage. Ici aussi aidée par la proximité de la caméra, elle use à merveille de son regard perdu ou troublé pour incarner cette jeune femme énamourée, passionnée, qui se perd dans son amour en plongeant avidement dans ce qui se devient peu à peu une dépendance voulue, venant d'un désir profond mais qui peut aujourd'hui peut paraitre assez choquant.
L'histoire est à prendre avec des pincettes. Certes, elle fait l'apologie d'un machisme très puissant, qui nécessite l'écrasement de la femme, la considérant comme un objet sexuel que l'on peut ranger telles de bonnes bouteilles de vin dans les cages d'un cellier. Cependant il faut faire (je crois, peut-être que j'essaie de m'en convaincre) la part des choses entre le fantasme érotique et la froide réalité, entre un discours destiné à exciter l'imagination, la libido et un autre discours ancré sur la réalité et la sensibilité des êtres humains, un discours politique, social et affectif qui doit permettre aux hommes et aux femmes de vivre ensemble dans le respect et l'égalité. Deux discours presque totalement déconnectés l'un de l'autre. Le problème réside dans ce "presque", l'un ayant peut-être des répercussions sur l'autre. Là est la question que je me pose en occidental ayant peu accès aux schémas culturels nippons. Mais cette question est bougrement intéressante. Je n'en ai pas encore les réponses. Ce débat est suscité par le genre érotique en général mais ce film-là a le mérite d'en condenser les attributs. Il oblige le spectateur à se poser ces questions car on peut difficilement le rejeter en le considérant comme un film inintéressant.
Il est très bien filmé. C'est le moins qu'on puisse dire. D'autres cinéastes ont réussi à imposer des styles un peu plus visuellement évidents, je pense à Ishii ou Tanaka par exemple mais Shôgorô Nishimura n'en est pas moins attaché à proposer une esthétique assez redoutable. Très délicate, en raison de mouvements de caméra très doux et d'une photographie nette et pas trop sophistiquée, l'image est très agréable, jamais agressive ni bêtement flashy. Le cinéaste garde le parti-pris de rester discret, sans effets tape-à-l'œil (zooms et couleurs criardes, au hasard).
Bien au contraire, la mise en scène cherche à se calquer sur la lente progression du personnage principal avec l'appropriation affective des actes sexuels de plus en plus dégradants, dans un renversement complet des valeurs, comme si la déchéance devenait l'ultime preuve d'amour.
Très proche de son sujet comme de ses personnages, le film étend une sorte de toile veloutée où les images se déposent avec douceur, comme une respiration paisible, assumée, naturelle. Très beau travail visuel et d'écriture.