Je trouve que nos tendances sont pour nous le plus grand et le plus infranchissable obstacle au bonheur.

Piotr Ilitch Tchaïkovski, au sujet de son homosexualité


Après son Leto explorant le Rock'n'roll dans un pays où cette musique synonyme d'occident n'est pas très appréciée par le pouvoir en place, puis l'hallucinante Fièvre de Petrov à travers les rues de Yekaterinburg, Kirill Serebrennikov, aujourd'hui réfugié en France, s'attaque à un biopic historique : l'histoire de la femme de l'immense compositeur Tchaïkovski.

Et le film commence d'une manière hautement académique. La mise en scène tape à l’œil et géniale de Serebrennikov s'efface pour laisser place à l'installation de la narration. Une femme, Antonina Milioukova, tombe follement amoureuse du compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski. D'abord réticent, ce dernier finira par accepter leur mariage.

Outre la splendide photo - crépusculaire, nocturne, opaque, qui n'est pas sans rappeler celle de Melancholia - Serebrennikov semble rester en retrait. Se serait-il assagi ? Non ! Car peu-à-peu, tout au long des pivots du récit, il réussira à parasiter cette mise-en-scène académique par des saillies de style dont lui-même à le secret, jusqu'à l'apothéose finale.

A l'instar des mouches qui traversent tout le long-métrage, nous suivons un cadavre en devenir. Une femme mangée de l'intérieur, se sentant pourrir tout au long du récit. Et c'est là toute la force de La Femme de Tchaïkovski: loin de nous proposer un point de vue strictement manichéen, Serebrennikov s'éloigne de cette polarité pour nous offrir des personnages troubles (comme la photographie), opaques, chacun déchirés par leurs propres passions internes qui les dévorent.

Certaines scènes explosent le cadre du récit, jusqu'à lorgner du côté de l'horreur pure. C'est le cas de cette scène de cauchemar au sein d'une forêt glaciale. Terrifiante, troublante. Ou du rapport au feu qu'entretient le film, déjà bien présent dans son précédent film La Fièvre de Petrov.

Si la première demi-heure du film prend peut-être un peu trop son temps pour poser des enjeux rapidement établis, Serebrennikov orchestre ensuite une véritable gradation dans l'horreur et la folie dont la scène finale, dansée et chantée, restera assurément comme l'un des plus beaux moments de cinéma de l'année 2022.

Mr_Wilkes
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le 11 nov. 2022

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Mr_Wilkes

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