Grand classique du cinéma français, desservi par les excellents dialogues (comme hélas on n'en fait plus aujourd'hui) et le très bon scénario de la fine équipe Pagnol et Giono, magnifié par l'incroyable Raimu, La femme du boulanger, justement admiré par Orson Welles, mérite sans conteste son rang parmi les plus grandes œuvres de notre patrimoine par sa capacité à élever le simple et l'anecdotique au statut d'universel et à captiver le public avec des moyens techniques dérisoires.


Certains reprocheront en effet à Pagnol ses rudiments plutôt limités en matière de mise en scène et nous leur répondrons qu'ils n'ont pas tout à fait tort. Transitions souvent bâclées voire inexistantes, absence de travellings, gros plans plutôt grossiers, … : il est clair que Pagnol n'excelle pas dans ce registre. Néanmoins, le cinéma, ce ne sont pas que de jolis mouvements de caméra, mais aussi la propension à inventer un monde bien à lui, à y faire vivre une galerie de personnages originaux et attachants, à les y mouvoir par des relations d'oppositions ou d'aides prenantes et surtout à les faire parler, et bien, si possible. Et ça, sans aucun doute, Pagnol sait le faire, et excellemment. D'ailleurs, plus qu'au scénario qui certes parvient à bien poser le conflit (qu'on voit venir de loin, mais qu'on s'impatiente de découvrir) et surtout à créer une tension qui durera jusqu'au bout du film sans s'essouffler, c'est d'abord à l'art du dialogue que s'accroche le spectateur, emporté dans les envolées lyriques arrosées d'anisette, les allusions évidentes et croustillantes, les jeux de mots à l'intelligence populaire ou encore les cris d'un cœur sincère et les rires francs et innocents, parfois cruels, des villageois.


Mais résumer la femme du boulanger à son verbe serait incomplet. Il y aussi la performance de Raimu, touchant, bluffant, intelligent par l’ambiguïté de son innocence parfois feinte, parfois vraie, à la large palette de sentiments (quoique l'égarement que lui cause son désespoir aurait pu être mieux joué), à la présence forte et au grand charisme. Il y aussi ce pays et ce temps lointains, ce beau monde si particulier, d'un charme perdu, honnête et transparent, véritable galerie de portraits savamment brossés, aux existences individuelles et à l'âme collective. Et puis il y a cette chatte, Pomponette, et l'inoubliable tirade qu'elle inspira à Aimable le boulanger après qu'elle fut partie avec un chat de gouttières... un inconnu, un bon à rien, … un passant du clair de lune. Intemporel.

Marlon_B
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 déc. 2017

Critique lue 276 fois

2 j'aime

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 276 fois

2

D'autres avis sur La Femme du boulanger

La Femme du boulanger
Electron
8

La Pomponnette

Première observation, pour une fois Marcel Pagnol adapte une œuvre de Jean Giono et non une des siennes. Ceci dit, il se montre tellement à l’aise avec le matériau qu’il en fait un film typique de...

le 11 sept. 2013

31 j'aime

11

La Femme du boulanger
Yoshii
8

"Je l'avais, mais depuis trois jours elle a disparu"

- Oh Gabriel - Quoi ?- Dis lui toi à mon neveu, cet érudit tout droit sorti de la faculté d'Aix que la femmeu du bou -langé , elleu s'appelleu Pomponette- Mais non elle s'appelleu pas Pomponnetteu,...

le 3 avr. 2024

12 j'aime

La Femme du boulanger
EricDebarnot
9

Le plus sublime des films de Pagnol

"La Femme du Boulanger" n'est peut-être pas le film de Pagnol le plus célèbre, mais il est en tout cas le plus sublime, tant le drame individuel (banal, celui de l'adultère et de l'amour trahi) prend...

le 14 oct. 2014

10 j'aime

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 18 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11