Lorsque, après Raphaël ou Le Débauché, Nina Companez décide de quitter Michel Deville pour se tourner vers la réalisation, celui-ci se retrouve seul et décide d’assumer son statut d’auteur. Auteur hors des sentiers battus, il produit un de ses tout meilleurs films, un film éblouissant d’intelligence et de sensibilité réunis. Bien avant Kundera et beaucoup mieux que lui, Deville avait su éprouver cette « insoutenable légèreté de l’être » et la restituer avec des moyens cinématographiques hors du commun. Utilisant toutes les possibilités du septième art, il compose une symphonie d’une intensité phénoménale autour d’un homme en quête de l’impossible objet du fantasme, désireux de vivre sa vie jusqu’au bout sans concession aucune à qui ou à quoi que ce soit. Dans le rôle principal, Michel Piccoli est lumineux d’aisance et de justesse et trouve là à coup sûr un de ses meilleurs rôles pour ne pas dire le meilleur. À ses côtés, Lea Massari étale un registre complet, passant de la comédie au drame avec autant de facilité que de réussite. Quant à Michel Aumont, il est savoureux comme toujours dans le rôle de l’ami fidèle qui ne peut suivre que de loin les évolutions de ce musicologue aux fausses allures de Don Juan. L’itinéraire de ce dernier est ponctué d’une façon lancinante du thème schubertien de La Jeune Fille et la Mort que nous entendons à longueur de film, toujours via le tourne-disque ou l'auto-radio, dans une utilisation qui n’est donc jamais gratuite. Le thème de ce film majeur mais décliné en mineur, comme toujours chez Deville, est tout simplement l’union du sexe et de la mort, soit les deux fascinations et les deux angoisses majeures de l’être humain. Ce qui n'empêche pas l'humour de se mêler constamment au récit, ajoutant un second degré qui éclaire davantage les intentions de l'auteur (Prenez garde à la peinture à l'entrée du musée par exemple). La mise en scène est à couper le souffle tant elle est virtuose, toujours au service du propos et d’une inventivité permanente. Chaque plan est à regarder dix fois tant il recèle toujours une trouvaille. L’émotion monte peu à peu à travers les rapports de ce couple hors norme et de son impossible quête, jusqu’à la fin tragique, que dans un souci d’éviter tout « suspense » inutile et malsain, Deville nous dévoile dès le début. Un chef-d’œuvre à découvrir de toute urgence…

Maqroll
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les plus belles claques esthétiques, Les plus beaux films d'amour et Et après le top dix ?

Créée

le 15 mai 2022

Modifiée

le 7 juil. 2013

Critique lue 880 fois

6 j'aime

3 commentaires

Maqroll

Écrit par

Critique lue 880 fois

6
3

D'autres avis sur La femme en bleu

La femme en bleu
Maqroll
10

Critique de La femme en bleu par Maqroll

Lorsque, après Raphaël ou Le Débauché, Nina Companez décide de quitter Michel Deville pour se tourner vers la réalisation, celui-ci se retrouve seul et décide d’assumer son statut d’auteur. Auteur...

le 15 mai 2022

6 j'aime

3

La femme en bleu
Plume231
4

Obsession !!!

Qui n'a jamais été attiré par une femme dans un magasin ou un lieu public, n'a pas osé l'aborder, le regretter par la suite même si on se dit pour se consoler que de toute façon on avait 99,99/100 de...

le 2 mai 2017

3 j'aime

1

La femme en bleu
cathVK44
8

Critique de La femme en bleu par cathVK44

Dans un fantasme évanescent, le bleu d’une robe entaille le cœur d’un homme. Allegro d’un désir infini et de la fugue éperdue du bonheur.Un film sur le désir inaccessible et la détresse...

le 10 sept. 2024

1 j'aime

Du même critique

Little Odessa
Maqroll
9

Critique de Little Odessa par Maqroll

Premier film de James Gray, l'un des génies incontestables du cinéma actuel, où déjà l'essentiel est en place. Un scénario, d'une solidité qui force l'admiration, rapporte une histoire tragique...

le 1 oct. 2010

20 j'aime

1

Babel
Maqroll
5

Critique de Babel par Maqroll

Une quadruple histoire dont on démêle peu à peu les intrications, qui constituent une espèce de fresque sur les difficultés des êtres humains à parler entre eux. Malheureusement, ce film rempli de...

le 17 juil. 2013

18 j'aime

2

L'Émigrant
Maqroll
10

Critique de L'Émigrant par Maqroll

Attention, chef d’œuvre absolu. Chaplin s’attaque ici au mythe des mythes, l’arrivée des immigrants aux États-Unis (via Ellis Island) et la voie ouverte à tous les rêves… La traversée de l’Atlantique...

le 10 juil. 2013

17 j'aime

3