Karloff et la poule
Suite au succès d'un premier opus que je n'ai pas encore vu, Boris Karloff rempile avec ses acolytes pour James Whale avec un budget plus confortable. Le résultat est un film particulièrement...
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le 16 févr. 2012
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---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au troisième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --
Mon amour,
bien sur ma lettre précédente ne t’es toujours pas parvenue à l’instant ou j’écris ces lignes. Faire traverser l’océan à mes sentiments prend visiblement plus de temps qu’il ne m’en faut pour regarder des films. Je me languis de ta réponse, d’autant plus que désormais tu pourras joindre à tes mots doux ton avis précieux sur mon enquête.
Enquête qui progresse ce soir encore dans le bon sens, même si je dois révéler que j’ai été déçue. Ce n’est pas tant la faute du film en lui même que des avis dithyrambiques qui foisonnent sur celui-ci. Plus estimé encore que son mari, *La Fiancée de Frankenstein* n’était pour moi pas à la hauteur.
Il n’est à mes yeux qu’une copie affadie de son prédécesseur, se montrant timoré quant à l’usage de décors étonnamment effrayants, timide sur l’expression de la lumière, patinant sur un scénario faible et des scènes dialoguées à outrance et excessivement longues… Pire, le film renie la fin de son prédécesseur, réécrit ce qui avait été laissé à la compréhension du spectateur, faisant passer celui-ci au choix pour un idiot ou pour un amnésique. Pas de chance, si ma mémoire n’est plus ce qu’elle était je suis tout de même encore capable de me souvenir du film que j’ai vu la veille, et pour l’idiotie, je laisse ton esprit aimant m’en juger par lui-même.
Pour ce qui est de mon enquête, quelques pistes intéressantes se développent : la créature multiplie les séquences du même acabit que celle des pâquerettes de son prédécesseur. Tout cela est très redondant jusqu’à la scène de l’aveugle, instant de grâce qui m’a émue aux larmes, voyant ces deux âmes égarées et rejetées par leurs semblables se retrouver par leurs dysfonctionnements. Incapables de communiquer, ils ont tout à apprendre mais leur amitié semble les rendre invincibles. Tout cela est sans compter sur la société bien portante, soucieuse de divulguer les bonnes mœurs, qui perce cette bulle de douceur et en provoque la destruction par sa simple intervention. J’en conclut donc que mon recherché vit toujours seul car incapable d’accepter ou de garder une intimité avec qui que ce soit, à l’image de la scène finale, cruelle mais réaliste.
Surtout, le film s’est éteint mais il continue de défiler furieusement derrière mes paupières. Je suis certaine qu’il a un sens caché, un message subtil et pourtant évident que je n’arrive pas à démêler, et ça me rend folle. Tout d’abord, Universal sort avec ce film de son ignorance et rend à Mary Shelley la propriété intellectuelle de son œuvre. Double amendement, cela passe par le générique, mais également par une scène introductive montrant Mary Shelley en compagnie de son mari et de Lord Byron, par une nuit d’orage, comme le soir où, comme le prétend la légende, le défi d’écrire une histoire fantastique fut lancé dans cette joyeuse colocation. Fort bien me dis-je, et l’explication aurait pu s’arrêter là, à la bête mais justifié culpabilité d’Universal pour son erreur d’attribution lors du générique du premier film. Mais ! Ladite scène perd bien vite de sa simplicité quand on y apprend que cette fameuse nuit du souffle créateur initial est passée depuis longtemps, et que Mary Shelley va révéler à ses deux acolytes, la supposée suite des aventures du docteur Frankenstein et de sa création. La ou je reste perplexe, c’est quand, après moult conversations ennuyeuses la fiancée de Frankenstein prend finalement enfin vie : l’idée brillante mais incompréhensible pour moi est de mettre dans ce rôle la même interprète que celle de Mary Shelley. Actrice sublime par ailleurs mais la n’est pas la question. Pourquoi ? Que veut dire le film avec cette audace ? J’ai toujours pensée que Mary Shelley se comparait elle même à la créature de Frankenstein, modelée par une éducation dictatrice mais prenant malgré tout vie et se confrontant alors au rejet de ses contemporains. Est-ce que James Whale cherche à faire passer cette vision là ? Mais alors pourquoi rend-il le personnage de la fiancée incroyablement belle, bien plus réussie que la créature précédente, et finalement assez à l’aise dans ses baskets ? Ou cherche-t-il à faire passer un message tout autre ? Il semble, tout au long des deux films, assez attaché à l’idée de punition divine pour avoir tenté d’immiter l’incarnation. Est-ce que ce double rôle serait comme une moquerie de Mary Shelley pour elle même, tentant par ses livres de donner également une vie alternative à des êtres qu’elle crée de toute pièce ? Tout cela me semble bien bancal. Et le mystère devient encore plus opaque quand le générique est doublé à la fin, re-citant l'interprète de Mary Shelley mais re-anonymisant celle (identique donc) de la fiancée ; clin d’œil au générique du premier film certes, mais pas que, j'en suis certaine. Lycaon, tu sais comme j’ai horreur des mystères, j’en t’en prie si tu trouves la solution à cette énigme écris-la moi vite...
Tu vois je n’ai pas détesté *La Fiancée de Frankenstein*, bien au contraire, mais j’en attendais tant et j’ai simplement obtenu moins. Toi qui m’a dit cent fois de ne pas écouter l’opinion des autres et de ne me fier qu’à moi même, j’imagine que je dessine par ces mots un sourire sur tes lèvres. C’est une bonne chose car même à des milliers de kilomètres je chéris ce sourire. Mais ne croit pas gagner pour autant. Écouter l’avis des autres c’est ce qui m’a conduit jusqu’ici, et même si je ne suis pas vraiment sure d’adhérer au message -que je n’ai d’ailleurs pas vraiment compris comme tu l’aura constaté- du film de ce soir, je suis néanmoins ravie de l’avoir vu. Il étend mon champ de vision, les possibilités nouvelles qui s’offrent à tous les films qui me restent à voir. C’était une pierre angulaire qui fait passer la créature de Frankenstein de mythe unique à une légende urbaine qui pourra devenir presque aussi foisonnante que le mythe du loup-garou. Je continue mon enquête sans aucun doute, je suis sur la bonne voie.
Je pense à toi,
H.
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Créée
le 6 nov. 2018
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