La fièvre monte à El Pao est un film engagé de l'hispanique et marxiste Buñuel, et dont l'intrigue se situe dans un lieu fictif d'Amérique du Sud.
L'histoire s'ancre dans le contexte instable d'une Histoire latino-américaine agitée, secouée par des coups d’États, des révolutions et des dictatures successives, et où les militaires ourdissent des plans pour renverser les gouvernements et s'emparer du pouvoir, où les gouverneurs réfléchissent aux moyens d'éliminer leurs rivaux plutôt qu'à maintenir la paix et à tenir leur rôle, où la liberté des dominés est contrôlée pour garantir la position des dominants et la condition des citoyens est reléguée au second plan. Buñuel reprend l'ensemble de ces problématiques globales à l'échelle locale d'une île, El Pao, pour montrer l’absurdité d'un système corrompu, où aucune loi n'est respectée et qui a irrémédiablement perdu sa vocation principale de servir le peuple au détriment d'intérêts personnels des hauts placés.
Le seul personnage qui nourrit l'espoir d'un changement dans l'implacable destin de cette patrie perdue est Vasquez (Gérard Philippe), jeune homme idéaliste, vertueux et probe, prêt à tout pour éradiquer le mal. Quitte à sacrifier l'amour qu'il éprouve pour la belle et sulfureuse Inès (la grande actrice mexicaine Maria Felix), allégorie du pouvoir, que tous veulent avoir et qui passent par toutes les mains, prête à se corrompre moralement pour atteindre ses fins, ne cédant au chantage des hommes vils que lorsqu'elle sera symboliquement traitée de «garce». Mais malgré son altruisme, et la pureté de ses intentions, il se confrontera à un monstre invincible et se contentera d'une modeste victoire à une bataille (application du droit des prisonniers politiques d'être affranchis de leurs chaînes) même s'il sait au fond de lieu qu'il ne gagnera jamais la guerre.
Outre ce couple, d'autres personnages secondaires, adjuvants et surtout opposants, fournissent au récit une densité d'action qui relance toujours le récit, traversé de rebondissements et de dilemmes insolubles. Voilà d'ailleurs l'originalité première du cinéaste qui, en donnant une dimension tragique à ses personnages impuissants et à leur nation condamnée à l'échec, affiche un parti pris fataliste quant à l'avenir de la démocratie sous ces horizons lointains.