On ne sait pas, on ne saura jamais. On traque les signes, on tente de décrypter les traits du visage de Lise. Si, je la sais coupable. Ah non, en fait je n’y crois pas. Pourquoi ne répond-elle pas ? Qu’aurais-je dit à sa place ? La Fille au bracelet confronte le spectateur à ses préjugés, à ses propres convictions qui s’effritent et s’évaporent avant de renaître brutalement lorsque claque un mot, lorsque règne le silence qu’il s’efforce de traduire, en vain. Le réalisateur réussit pleinement à nous immerger dans ce microcosme juridique aussi étouffant que passionnant, et c’est dans ce tribunal que se reconstruit, par fragments détachés et focalisés, les quelques mois révélateurs d’une vie détruite, de vies détruites et que la sentence finale ne pourra pas sauver.
Des images défilent, des extraits vidéo aussi, les dépositions sous serment ou non se succèdent : c’est un tournoi figé dans les procédures, encadré par la joute verbale de femmes en robe noire. La très grande intelligence du film est de penser le tribunal comme un miroir qui déforme les traits de celle que l’on croyait connaître, de celle qui vit sous le même toit, y a vécu pendant vingt ans, mais dont on ignore tant de choses. Se rejoue ici le rapport disharmonieux – pour ne pas dire polyphonique – entre les générations dont la plus âgée projette ses codes moraux sur celle qui, visiblement, s’en éloigne de façon perverse, malsaine et diabolique.
Derrière la vitre, un visage impassible. Une étrangère comme Camus aurait pu en écrire. Face à elle, le parti civil. Tribunal terrestre où semble se disputer le droit d’une âme à recouvrer sa liberté ou à brûler à jamais de ses fautes – fautes qui sont les mœurs soumises à l’interprétation adverse. La Fille au bracelet porte un regard fort juste sur l’écart qui sépare la jeune génération, sa manière d’agir, d’interagir et d’aimer, qui la marginalise. À travers le corps de Lise, c’est toute une jeunesse qui est sur le banc des accusés et qui subit les conséquences d’actions qu’elle pensait fortuites. Les paroles jeunes sont sans filtre, leur naturel trahit des actes qui sont naturels pour eux, qui vont de soi.
En creux, donc, se discute la liberté sexuelle, acquis du siècle précédent mais qui semble plus facile à inscrire dans la Loi qu’à appliquer et qu’à respecter. Et cette légitimité du doute qui triomphe maintient jusqu’au bout l’indétermination. Coupable ou innocente ? Hétérosexuelle ou lesbienne ? Femme libérée ou fille facile ? Libre avant tout. Et peut-être tellement libre que… On ne sait pas.
Dans le sillage du dernier film de Rebecca Zlotowski, La Fille au bracelet s’empare de la réflexion sur l’image de la femme contemporaine en la déplaçant d’un cadre estival – d’ailleurs présent au début du long métrage – à la salle d’un tribunal. Comme un prolongement. La fille a bel et bien un bracelet. Celui de son amie disparue. Elle seule en connaît la signification. Nous suspendons notre jugement. Sauf à l’égard du film de Stéphane Demoustier, très très grand film porté par de très très bons acteurs, Melissa Guers en tête.