La Fille du bois maudit fut apparemment le premier film de l'histoire du cinéma tourné en extérieur à utiliser le procédé Technicolor trichrome. Pour une œuvre datant de 1936, soit déjà plus de 80 années, le résultat est tout bonnement bluffant, tant la qualité de l'image est exceptionnelle. Le travail sur les couleurs et la profondeur de champ offre une pellicule à l'esthétique somptueuse, presque envoûtante, et une première bonne raison de la découvrir.


Mais au-delà de ces considérations techniques, The Trail of the Lonesome Pine est aussi un film remarquable à bien d'autres égards. Adapté du best-seller éponyme de John Fox paru en 1908, la version d'Henry Hathaway est au moins la quatrième produite à Hollywood. Les prémisses de l'histoire ne sont pas sans évoquer - certes vaguement - Roméo et Juliette, dans le sens où elles mettent en scène deux familles se vouant une haine ancestrale dont les raisons ont depuis longtemps été oubliées. Sauf qu'ici, les Tolliver et les Falin sont des bouseux d'une vallée de montagne perdue dans les Appalaches, vivant reclus sur leur territoire respectif et se reproduisant entre eux. De temps à autre, la violence armée reprend le dessus, un homme est tué et les femmes retournent à leur chagrin.


Le film s'ouvre sur l'arrivée chez les Tolliver de Jack Hale (Fred MacMurray), un ingénieur des chemins de fer venu solliciter aux deux familles un droit de passage sur leur terrain. Il y trouve Dave (Henry Fonda), blessé lors d'une récente altercation avec les Falin, et lui sauve la vie (et le bras) en évitant la propagation de la gangrène naissante. Dave, neveu du patriarche Judd et de son épouse Melissa, vit ici depuis le décès de ses parents dans sa jeunesse. Il est promis à la charmante June (Sylvia Sidney), fille des précédents, et de fait sa cousine germaine. Mais l'irruption de l'ingénieur dans le quotidien morbide et laborieux des Tolliver va provoquer une succession d'événements qui bouleverseront l'ordre habituel des choses et conduiront à de nouvelles morts, et in fine à une paix bien amère.


Centré sur la relation entre Jack Hale et les Tolliver, La Fille du bois maudit adopte durant la première heure un ton plutôt léger, de la romance naissante entre June et l'ingénieur à la rivalité masculine entre Jack et Dave pour l'intérêt de la belle, en passant par l'éveil intellectuel du petit Buddie, le benjamin des Tolliver. Sur fond de modernité galopante représentée par les machines, les appareils, le téléphone, l'argent en billets et les façons de faire citadines, tout porte à croire que les différents personnages finiront par faire preuve de bon sens et régler à l'amiable les petites tensions existantes.


Mais la dernière demi-heure, violente et sombre, se charge de nous prouver le contraire de manière assez choquante. Pas de happy end, donc, et on ressort de ce quasi-western (ça se passe dans le Kentucky au tournant du XX° siècle) pris à la gorge par la mélancolie de l'histoire, transposée en chanson dans le titre Twilight on the Trail, poignant et magnifique. Parfaitement interprété par son trio d'acteurs principaux, et par une galerie de seconds rôles soignés et donc attachants, La Fille du bois maudit se révèle l'un des films les plus réussis dans la longue filmographie de son réalisateur. L'un des plus personnels, aussi.

mazthemaz
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mes westerns, Les meilleurs films de Henry Hathaway, Les meilleurs films avec Henry Fonda, Les westerns d'Henry Fonda et Les westerns d'Henry Hathaway

Créée

le 24 mai 2017

Critique lue 768 fois

13 j'aime

11 commentaires

The Maz

Écrit par

Critique lue 768 fois

13
11

D'autres avis sur La Fille du bois maudit

La Fille du bois maudit
Teklow13
9

Critique de La Fille du bois maudit par Teklow13

Le film se passe à Lonesome Pine, un coin perdu de l'Amérique sauvage où deux familles, les Tolliver et les Falin, se livrent un combat ancestral. Un jour, Jack Hale, un ingénieur, vient construire...

le 13 févr. 2012

8 j'aime

3

La Fille du bois maudit
estonius
6

Une querelle de clocher qui tourne en vendetta

Quand on comprend ce qu'est le sujet (une querelle de clocher qui tourne en vendetta), on se dit que ça va être du téléphoné. Or force est de constater qu'Hathaway maitrise globalement son affaire...

le 5 déc. 2018

2 j'aime

La Fille du bois maudit
Caine78
6

Critique de La Fille du bois maudit par Caine78

D'une histoire ressemblant vaguement à celle de « Roméo et Juliette », Henry Hathaway tire une oeuvre de qualité, à défaut d'être totalement emballante. Les couleurs sont belles (premier film de...

le 11 avr. 2018

1 j'aime

Du même critique

La Tour sombre
mazthemaz
5

Une petite bafou-bafouilleu...

Étonnant... Je viens de voir ce film qui s'intitule La Tour sombre, mais qui n'a rien à voir avec l'excellentissime série de romans de Stephen King... Et pourtant, j'ai bien cru voir le nom de...

le 18 oct. 2017

27 j'aime

6

La Main au collet
mazthemaz
7

Copycat

La Main au collet est la preuve indiscutable qu'autrefois, la Côte d'Azur n'était pas bétonnée... Qui l'eut cru ? Tourné durant l'été 1954, le vingtième film américain d'Alfred Hitchcock, qui s'ouvre...

le 3 mai 2017

26 j'aime

12

Une femme disparaît
mazthemaz
8

Le Maître du suspense... comique !

Un film qu'on pourrait qualifier de jeunesse, bien qu'Alfred Hitchcock eut alors près de 40 ans, tournât son seizième long-métrage parlant et s'apprêtât à quitter son île natale pour les États-Unis...

le 4 avr. 2017

25 j'aime

10