En 1939, dans le sud de la France, Patricia (Josette Day), fille d’un puisatier (Raimu, magistral), s’éprend de Jacques Mazel (Georges Grey), fils d’une famille bien plus aisée que la sienne. Mais la guerre éclate, et Jacques est mobilisé. Seulement, il ne sait pas qu’il laisse derrière lui une amante enceinte. Rejetée par les Mazel, Patricia se fait également répudier par son père…
Lorsqu’on en vient à désespérer du cinéma français contemporain, un bon retour aux sources ne fait jamais de mal. Et ce retour aux sources, qui mieux que Pagnol peut l’incarner ? Formidable peintre de l’âme humaine comme ont pu l’être un Frank Capra ou un Billy Wilder outre-Atlantique à la même époque, Marcel Pagnol nous propose sans nul doute avec La Fille du puisatier une de ses plus belles œuvres.
A dominante dramatique, le film de Pagnol parvient toutefois à ne jamais délaisser totalement la comédie, mélangeant les genres avec brio, grâce à une écriture incroyable des personnages. Ces derniers s’avèrent en effet d’une finesse inégalable, grâce à ces acteurs exceptionnels que sont Fernandel, Raimu et Fernand Charpin, tous trois capables de nous tirer autant de rires que de larmes à travers leur jeu impeccable. Il faut dire que le scénario prend son temps, mais on ne voit guère de raison de lui en tenir rigueur, tant il nous offre un voyage émotionnel au pays du soleil qui s’inscrit profondément en mémoire, de manière d’autant plus spectaculaire que tout cela se fait sans aucun effet de manche, la mise en scène de Pagnol étant d’une sobriété qui ne rend le récit que plus efficace.
Mais si La Fille du puisatier touche autant, c’est qu’à travers le charme et l’authenticité du récit, ce dont Marcel Pagnol fait le portrait, c’est, plus qu’une société, une âme. Avec ce film, le réalisateur dépeint l’âme française avec une profondeur étonnante, tant il arrive à toucher du doigt tout ce qui fait la grandeur de la France profonde, dans toute sa noble simplicité. L’attachement à la terre, l’honneur du sang, le sens des responsabilités familiales, la valeur salvatrice de l’épreuve : autant de valeurs qui apparaissent aujourd'hui comme des gros mots aux yeux d'esprits modernes engoncés dans leur individualisme confortable et fermé, et qui n'en apparaissent que plus belles...
Si la fin du film, trop rapide et assez artificielle (Jacques a beau jeu de faire la morale à ses parents et à son beau-père, alors qu’ayant oublié ses responsabilités, il a encore toutes ses preuves à faire en tant que père), n’est pas au niveau de son récit, elle ne gâche en rien l’éloge de ces valeurs fondatrices que Pagnol nous dresse ici, affichant un patriotisme assumé, parfait reflet d'une époque où la notion de patrie avait encore un sens. En cela, il est particulièrement significatif que la réconciliation des parents de Jacques et du père de Patricia, et la fondation de la famille de Jacques et Patricia, se scelle autour de l’appel du 17 juin du Maréchal Pétain.
De fait, Pagnol l'a compris, pour peindre la France et son peuple dans toute leur vérité, il faut puiser au plus profond de leur âme. Et si l’on veut comprendre la véritable âme française, ce jour-là, 17 juin 1940, est peut-être un de ceux où elle s'exprima le mieux (ainsi que toute la période qui suivit). Car ce jour-là, pour la première fois depuis des siècles, un chef prouvait à son peuple que tout pouvoir repose sur sa confiance et sa cohésion. Ce jour-là, un chef, mettant fin aux mensonges d’un gouvernement faible, rappelait au peuple français la valeur rédemptrice de la souffrance. Ce jour-là, un chef réveillait autant qu’il révélait aux yeux du monde et de l’histoire l’âme profonde d'un pays, d'un peuple, en l’appelant à s’unir comme une seule personne face à un adversaire commun. Ce jour-là, Pagnol l'immortalisa dans son superbe film La Fille du puisatier, lui donnant tout son sens, joignant de manière magistrale la force du destin d'un peuple entier et la petitesse de celui d'une famille en un incontournable classique du cinéma français.