Troisième film de Michael Cacoyannis après « Le réveil du dimanche » et « Stella », La fille en noir est une étude de mœurs autour de l’honneur de la famille se déroulant dans l’île grecque d’Hydra. En cette fin des années 50, les hommes vaquent sur le port à leurs occupations dilettantes, entre parties de cartes, siestes, baignades, plus occupés à courir les filles que le poisson, tandis que les femmes tiennent la maison à bout de bras.
Par cette immersion dans une communauté encore rigide et puritaine, le réalisateur dénonce le poids de la tradition qui y règne, l’oppression des femmes sacrifiées à l’immaturité masculine, les interdits rendant impossible toute relation homme-femme hors liens traditionnels acceptés par la communauté.
Deux amis athéniens aisés arrivent en bateau au petit port de l’île. Pavlos est un écrivain en panne d’inspiration et Antoni un architecte un peu plus âgé et plus sage. Alors que leur bateau approche de la rive ils découvrent le village blanc étagé à flanc de colline, écrasé de soleil, ce qui fait dire à l’un « tout est dans la lumière ; rien ne semble caché, pas même les péchés des hommes. » Et de fait, derrière le calme apparent et la beauté du site, l'île initialement idyllique va progressivement se révéler et devenir le décor de drames sous la pression de codes moraux stricts, de la conception rigide des genres, de la distinction de classes ou de préjugés contre les citadins.
Suivant les conseils d’un îlien, les deux hommes vont s’installer chez l’habitant, dans une grande maison plutôt qu’à l'hôtel. C’est une maison autrefois glorieuse, aujourd’hui délabrée, hantée par la mort, la haine et la honte. La mère est veuve désargentée depuis que son mari est mort à la guerre civique il y a vingt ans ; une fille aînée s’est suicidée par noyade un an auparavant pour fuir les sarcasmes et la méchanceté des jeunes villageois. La maison et ses habitants sont la risée du village, depuis que la mère a pris un amant. Son fils Mitso tente de défendre la vertu de sa mère, mais il n'a pas la force physique de faire face à ses détracteurs.
Et puis il y a Marina, fille mélancolique aux yeux tristes, immuablement vêtue d’une robe noire, comme en deuil, qui rase les murs et se meut dans le silence. Elle est tourmentée par le souvenir du suicide de sa sœur et par le harcèlement permanent des jeunes célibataires de l’ile menés par Christos, le plus fanfaron auquel elle se refuse.
Lorsque Pavlos, l’écrivain apprend l'histoire de sa famille, il s’éprend de la jeune fille. Cette connivence qui se noue va perturber le jeu cruel établi et intensifier le désir et la jalousie de Christos. Immature il va vouloir se venger de son rival par « une blague » dont les conséquences vont mener à l’inévitable catastrophe et frapper de noir toute l’île. Le drame va révéler Marina à elle-même. Enfermée dans son silence, souffrant du déshonneur et de l’infamie au début du film, elle va finir par sortir de sa réserve et de son mutisme pour s’opposer au chœur des villageois et offrir un espoir. Derrière un style néoréaliste, on retrouve dans ce film le cadre et le souffle de la tragédie antique.
La fille en noir est filmé simplement, sobrement, sans artifice ni folklore ; la photographie est magnifique, aussi bien celle des lieux que celle des corps et des visages ; elle sait rendre et maîtriser la violence de la lumière grecque, parallèle à la violence des émotions du film. Et la performance d’Élli Lambéti, actrice fétiche des premiers films de Cacoyannis, est remarquable.
A découvrir