LA FILLE INCONNUE (13,4) (Luc et Jean-Pierre Dardenne, BEL, 2016, 106min) :
Ce drame social exigeant narre la mésaventure de Jenny Davin, une doctoresse généraliste refusant d’ouvrir la porte de son cabinet (une heure après la fermeture) à une jeune femme retrouvée morte le lendemain, sur les bords de la rivière la Meuse dans une petite ville de la province de Liège. Les célèbres frères Dardenne (double palme d’or à Cannes) pour Rosetta (1999) puis avec L’enfant (2005) se sont présentés à nouveau à Cannes cette année en sélection officielle avec cet opus accueilli fraîchement par la presse. Quelques mois après ce revers ils reviennent avec un nouveau montage du film, une coupe de 7 minutes, plus recentré sur le personnage mais en gardant néanmoins la même structure narrative. Cette fois l’énième portrait d’une femme persévérante (personnage récurrent du cinéma dardennien) se décline sous la forme d’un faux thriller et d’un vrai drame intime sur la culpabilité. La mise en scène réaliste des Dardenne se veut cette fois plus posée avec moins de caméra à l’épaule, les cadrages sont très précis, souvent à hauteur d’épaules, et le découpage des scènes s’avère chirurgical. Des plans serrés comme les lieux de vie s’aère grâce à de nombreux hors champ dont les bruits de l’extérieurs viennent enrichir l’aspect social du récit. L’intrigue sous forme d’enquête où la jeune médecin se sentant coupable se met à la recherche de l’identité de cette « fille inconnue », nous plonge dans une introspection psychologique de Jenny, femme complexe prête à se mettre à dos à cause de sa pugnacité ou de son orgueil. L’intrigue devient un pertinent prétexte pour décliner socialement certaines failles d’un monde en absence de lien social, une déliquescence des échanges, où personnage de Jenny de par son métier, à l’écoute des corps décèlent la moindre blessure affective, le moindre mensonge avec une simple pris de pouls, une auscultation viscérale des blessures humaines. A nouveau les humanistes belges tissent un scénario au scalpel, un polar tendu au rythme assez lent et à l’atmosphère pesante, où les protagonistes sont tous des nuances de gris, au milieu des décors de la même teinte. Comme seule touches de couleurs régulières les pulls de Jenny pour mieux faire ressortir chaque émotion sur son visage, souligner ainsi ses fragilités et sa bienveillance quand elle reçoit un simple « merci » ou une part de gaufre d’une patiente. Gestes anodins prenant ici une signification toute particulière pour cette femme habituée à contrôler ses émotions pour délivrer un bon diagnostic. Le montage et le découpage des scènes dénotent toute la maîtrise des réalisateurs même si on peut noter quelques langueurs et situations anecdotiques ralentissant un peu le rythme. Pour cette nouvelle déclinaison sociale à la dimension politique sous-jacente (par exemple ne pas ouvrir la porte à des inconnues renvoyant à l’actualité brûlante des migrants et aux frontières qui se ferment) les Dardenne ont choisi comme égérie Adèle Haenel (Naissance des pieuvres, L’Apollonide, Les combattants, Les Ogres…). Choix pertinent tant Adèle Haenel avec subtilité et humilité dans son jeu s’immisce parfaitement dans le dispositif des frères en dévoilant de nouvelles tessitures du « je » dans cette partition déterminée et délicate. A noter la participation de l’impeccable Olivier Gourmet et du touchant Jeremy Rénier, permanent acteurs du cinéma des Dardenne. Venez enquêter avec Jenny à la recherche de La fille inconnue. Intrigant, austère, moral et poignant.