Difficile de ne pas voir La Fille Inconnue comme un méta-film, tant celui-ci, dans sa sécheresse, son dépouillement, laisse entrevoir tous ses rouages.
Le titre déjà fait écho aux films précédents des Dardenne, où des filles inconnues tenaient effectivement les premiers rôles (Rosetta, L'enfant, Lorna). Pourtant, sur l'affiche, au-dessous du titre, on reconnaît le visage d'Adèle Haenel. Mais ce n'est pas elle qui est désignée ainsi : la fille inconnue est bien comme Lorna, Rosetta et la mère de L'enfant, tenue à une marge, qui est désormais hors-champ dans le cinéma des Dardenne, alors qu'il occupait le centre de leurs attentions il y a dix ans, avant qu'ils n'engagent Cécile de France ou Marion Cotillard et qu'ils ne se mettent à dessiner des personnages socialement inscrits, parfois précaires mais entourés.
Et, soudain, ce cinéma abandonné (cinéma de la marge), sonne à l'interphone. Or Adèle Haenel ne répond pas, et la fille inconnue est tuée. La problématique du film est dès lors la suivante : puisque nous avons restreint notre regard, puisque nous l'avons détourné, aux inconnus nous chercherons à donner un nom. Tout repose sur la culpabilité du personnage principal, médecin de son état, qui, à travers ses nombreuses visites, tentera de réparer ce qu'elle pense être une faute. Parcours de sainte - et les Dardenne d'émettre l'hypothèse suivante : les saints ne sont que des repentis -, qui lave les pieds les plus désagréables, s'occupe de tout, reçoit des offrandes, est jetée au fond d'un trou, menacée, adorée, vivante.
Ce qui fait l'intérêt du film est aussi sa limite : peu d'affects émanent de cette somme très théorique, et les Dardenne sont sans doute meilleurs dans l'exultation ou le coup de sang que dans le repentir (la fin, en ce sens, est un peu décevante : un pardon n'est pas tout à fait un miracle). Qui plus est, les Dardenne ont fait le choix d'un film de parole, car le drame est déjà presque clos quand le film démarre : il n'y a donc presque rien à montrer, et La Fille Inconnue est réduit à une compilation d'aveux. Les cinéastes font preuve d'une grande foi dans l'acte de dire (le film pourrait s'appeler Puissance de la Parole), presque toujours thérapeutique, mais, à force, quelque chose finit par se répéter, dans ce système parfait, un peu trop clos, trop réflexif.