La fille seule est à mon humble avis à ce jour le sommet de l’oeuvre de Benoît Jacquot. Un film continuellement sous tension dans lequel il se déroule à la fois tout et rien. Rien puisque le temps réel qu’il choisit impose une suite de gestes, de silences, de trous. Ici préparer un petit déjeuner ou faire un lit, là attendre des directives ou fumer une cigarette. Tout parce que cette heure charnière est un moment crucial dans la vie de Valérie, campée par une Virginie Ledoyen incroyable, pure présence hallucinante portant à elle seule tous les enjeux, le rythme et la dramatique du film.
On pourrait grossièrement découper le film en quatre séquences. Deux séquences miroir où Valérie rejoint Rémi (Benoît Magimel) dans un bar parisien, englobant une troisième, centrale, conséquente dans cet hôtel où elle embauche ce jour au room service. Puis une quatrième et donc dernière, détachée, quelques années plus tard, dans un parc avec sa mère et son enfant. Les lieux de cette heure charnière sont découpés ainsi : Bar, rue, hôtel, rue, bar, rue. A la manière de Varda dans Cléo de 5 à 7 le film prend le parti de s’accrocher à son personnage, ne se permettant aucun écart, aucune sortie respiratoire. Seul le final précédé d’une ellipse brutale permet enfin une respiration.
Valérie et Rémi sont jeunes et amoureux. Mais ce matin-là Virginie a quelque chose d’important à dire à Rémi, ce pourquoi elle lui donne rendez-vous dans ce bar avant d’aller travailler. Le film s’aligne déjà sur la durée que cet échange engendre, la gêne qu’il occasionne, l’émotion qu’il procure. Elle finira par lui dire qu’elle est enceinte. Avant de s’en aller vite effectuer sa première journée de boulot.
La voici alors dans cet établissement dont nous ne sortirons pas de sitôt. Briefée par les uns, poliment ou non, scrutée par les autres, agréablement ou non, de relations brèves et tendues en croisements sympathiques ou antipathiques, Valérie entre dans un monde qu’elle a jadis connu – on apprend qu’elle a travaillé dans un room service un an auparavant dont elle a fui une direction un poil trop à ses basques – mais qu’elle s’apprête à revivre autrement, puisqu’elle n’est plus celle de l’an passé. Elle est enceinte, c’est une autre femme.
Une première heure de travail éreintante magistralement rendue par la caméra dynamique de Jacquot, qui virevolte littéralement entre les personnages et les couloirs, entre une scène de confession et une autre de rupture. Parce que tout le monde se sépare, pense Valérie et qu’il est inutile de se faire d’illusion et de remettre une décision au lendemain.
L’enfant qui devait initialement s’appeler Stanislas se nommera finalement Fabien, dans une dernière longue séquence mère/fille proprement bouleversante. Séquence témoin d’un temps qui a irrémédiablement filé, mais qui n’est pour elle pas encore sujet à regret puisqu’elle vit dans un autre présent, tout aussi éprouvant. Une autre aventure – La scène du métro, magnifique – sur laquelle plane l’ombre des anciennes (futures pour Valérie) douleurs d’une mère qui elle, n’a plus qu’à s’en remettre à ses regrets et sa solitude.