"Qu'est-ce que vous attendez, là ? Que l'eau monte ?"
Alors que le cinéaste semble s'être perdu dans des productions pitoyables, il est bon de se souvenir que Patrice Leconte fut un cinéaste très talentueux, un formidable conteur d'histoires.
Ici, nous avons affaire à une rencontre. La rencontre, sur (et sous) un pont parisien, entre une jeune paumée suicidaire et un lanceur de couteau sur le retour. Elle en a marre d'être le pigeon de quelques obsédés dont l'unique objectif se situe en dessous de la ceinture. Sa vie, qu'elle nous raconte en ouverture du film, n'est qu'une suite de rencontres. A chaque fois, pleine de naïveté et convaincue que les contes de fées existent, elle se persuade d'avoir trouvé le prince charmant. Et elle se donne à eux, certaine que c'est la seule façon de garder un homme, de construire une histoire.
Lui fait un métier dangereux. Pas vraiment pour lui, mais pour sa partenaire. Lanceur de couteaux itinérant, il sent que sa main est moins sure, que les risques du métier croissent. Aussi, il recrute parmi les paumées, les suicidaires. Parmi celles qui n'ont rien à perdre.
Très vite, Leconte impose son monde, son rythme, son ambiance.
Le monde est incontestablement celui du conte. Ce film n'est pas réaliste et ne se veut pas comme tel. Les personnages se parlent à distance. Ils ont de la chance lorsqu'ils sont réunis mais cette chance semble disparaître dès qu'ils sont séparés. En gros, ils sont "faits l'un pour l'autre", cette théorie qui est une des bases du film romantique niais ou du conte dont on assomme les enfants.
Mais ici, c'est un conte un peu noir. C'est un conte pour adultes. Entre la quasi-nymphomanie de la fille et les couteaux plantés dans la chair, il n'y a aucun doute, le conte n'est pas enfantin. Il n'en reste pas moins un conte.
Le rythme est très rapide. D'autant plus que le film est court. Les scènes sont brèves, et les voyages permanents des personnages, donc les constants changements de décors, empêchent la routine d'un acte qui aurait pu être répétitif. De même, les différentes façons de lancer les couteaux (à l'aveugle, ou sur la "roue de la mort") préviennent l'ennui.
Les dialogues sont vifs, les répliques fusent, là aussi à un rythme très rapide. Et avec beaucoup d'humour.
Un humour du désespoir. Un humour noir. Leconte impose une atmosphère très particulière, dans un film très drôle, certes, mais où l'humour dissimule mal (voire pas du tout) les fêlures des personnages. Le magnifique noir et blanc n'est pas seulement un caprice esthétique, il s'impose dans un film où les personnages sont tour à tour sombres et lumineux.
En bref, avec une grande économie de moyens mais avec une grande maitrise de ce qu'il fait, Leconte nous plonge (sans jeu de mots) dans un très beau film, un conte sombre et drôle, comique et touchant. Un film sensible et sensuel. Une très belle réussite.