La Fille sur le pont par RemyD
Revenu de l'échec immérité de «1 chance sur 2», Patrice Leconte retrouve Vanessa Paradis et nous offre un conte moderne sur la chance.
Une fois de plus Patrice Leconte surprend. Lui qui débuta avec des comédies débridées («Les WC étaient fermés de l'intérieur», «Les Bronzés» et sa suite, «Viens chez moi, j'habite chez une copine», etc.), laissa tout le monde pantois avec «Tandem» qui touchait de manière sublime à la nostalgie, et surtout l'extraordinaire «Monsieur Hire», fable noire adapté de Simenon. Dès lors, il tourne avec boulimie : l'année où son «Ridicule» fait l'ouverture du Festival de Cannes, il venait d'offrir au public «Les Grands Ducs». Son dernier né à ce jour prenait la gageure de réunir Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Malheureusement le public passe à côté d'un film à la fois léger et vieillot, un bel hommage à la grande époque Delon/Belmondo. On ne retiendra de ce cuisant échec que la présence de Vanessa Paradis. C'est cette même Vanessa que l'on retrouve dans «La fille sur le pont».
Elle y incarne Adèle, une jeune femme qui est persuadée d'attirer la guigne. Un soir de désespoir, elle s'apprête à se jeter d'un pont parisien alors qu'une voix masculine l'en empêche. C'est Gabor (Daniel Auteuil), un lanceur de couteau en manque de cible. Il lui propose de le suivre dans sa tournée. Elle accepte et se retrouve dans un monde entre magie et poésie. Il se noue entre eux une relation forte entre fascination et nécessité. Nécessité car Gabor a besoin d'Adèle autant qu'elle a besoin de lui. Leurs malchances réciproques en font un couple incroyablement chanceux. Sans elle Gabor est un piètre lanceur de couteaux qui esquinte régulièrement ses partenaires. Et avant de le connaître Adèle collectionnait les galères les plus absurdes.
Leconte adapte au cinéma la formule mathématique moins par moins égale plus. Il entrechoque deux êtres en perdition et obtient une entité que rien ne peut plus entamer. Mais il ne peaufine pas que ses personnages. Il apporte un soin tout particulier aux dialogues et rappelle par là son confrère Bertrand Blier. Tel un orfèvre, il cisaille les mots, les phrases et les regards de ses deux saltimbanques.
Comme il nous plonge dès les premières images de «La fille sur le pont» dans un conte, il opte pour une image en Scope et en noir et blanc d'une beauté quasi féerique, tout en restant proche de notre temps et de sa triste réalité. Il décrit à merveille le petit monde des cabarets et de ses artistes que l'on dirait figés dans une époque mal définie, propre à leur univers. On a à tout moment l'impression que le cinéaste flirte avec le fantastique. C'est comme s'il longeait un long couloir dont les portes successives ouvriraient sur un monde irréel ; portes auxquelles il frappe régulièrement sans ne jamais les franchir. Soutenu dans son entreprise par une Vanessa Paradis lumineuse et un Daniel Auteuil au sommet de son art, Leconte signe une fable magnifique sur les différences et leurs conséquences.