Une parenthèse assez sobre dans l’œuvre d’Almodóvar, et, disons-le, parfois ennuyeuse. Son ambition romanesque et flamboyante a perdu ici tout ce qui faisait sa vigueur et son originalité. Le cinéaste s’attache à décrire quelques mois de la vie de Leo Macías (Marisa Paredes), qui écrit des best-sellers sentimentaux sous le nom d’Amanda Gris, et qui aspire à se faire connaître comme une femme de lettres "sérieuse". Elle parvient à se faire engager au journal "El País", mais doit faire face à des problèmes conjugaux qui vont la pousser plus profondément dans un état de dépression destructeur.

"La Fleur de mon secret" est l’histoire d’une femme qui tient plus que tout à s’échapper du monde irréel et idéalisé des romans qu’elle écrit habituellement pour se rapprocher d’une écriture du "réel", sans artifice. Le paradoxe est qu’elle ne réalise pas qu’elle vit elle-même dans un univers fantasmé, faux (son mari la trompe depuis des mois avec l’une de ses amies). Sa vie privée devient un cliché sordide (les scènes de retrouvailles puis de rupture entre Leo et son mari Paco ressemblent à des situations qu’Amanda Gris aurait pu écrire dans l’un des ses romans). Leo est si centrée sur elle-même qu’elle est devenue aveugle à ce qui se passait autour d’elle (l’absence de reconnaissance directe et sa double vie littéraire lui ont fait perdre pied), et c’est avec brutalité qu’elle se rend compte que sa vie amoureuse (à l’instar de sa réussite professionnelle) ne repose que sur des mensonges.

Almodóvar parvient mieux à évoquer la frustration de Leo que sa dépression : les romans qu’elle publie sous le nom d’Amanda Gris sont jugés « typiquement féminins, quelque part entre Barbara Cartland et un feuilleton à l’eau de rose vénézuélien », comme le souligne Ángel, le rédacteur en chef d’ "El País" : Leo n’a pas une carrière littéraire à la hauteur de ses prétentions. C’est un auteur qui aime les femmes écrivains, « surtout les folles », confie-t-elle : Virginia Woolf, Janet Frame, Jean Rhys et Djuna Barnes comptent parmi ses auteurs favoris. Leo glorifie ces figures de légende, et cherche d’une certaine manière à leur ressembler, à atteindre une sorte de névrose romanesque qui lui apporterait une crédibilité. Leo rêve sa vie ; elle n’est absolument pas un personnage attachant, et c’est là que le bât blesse : son itinéraire se suit sans passion, sans intérêt.

La présence de Chus Lampreave et de Rossy de Palma, dans les rôles des deux fortes figures féminines qui composent la famille de Leo, apporte un décalage bienvenu : Almodovar s’est inspiré de sa mère et de sa sœur pour peindre ce couple infernal qui passe ses journées à s’invectiver. Chus Lampreave est particulièrement irrésistible dans ses scènes de dispute avec sa fille ; elle refuse de sortir de son appartement de Madrid par peur des skinheads (!), et ne tient pas à subir une opération des yeux, « tant qu’il y aura encore un souffle d’air dans son corps ». Il y a dans ces scènes une vraie violence verbale mais également une authentique part de tendresse : ces deux femmes se crient dessus en permanence mais seraient incapables de vivre l’une sans l’autre.

Les relations mère/fille et, par extension, le thème de la filiation sont au cœur du scénario, qui préfigure "Tout sur ma mère" (les deux films commencent de manière presque identique, par une séquence de simulation filmée d’une conversation entre deux médecins et une femme qui vient de perdre son fils) et, dans une plus large mesure, "Volver". Ce-dernier film est clairement annoncé par le contenu du manuscrit de Leo, qui raconte l’histoire « d’une femme qui découvre que sa fille a tué son père qui tentait de la violer, et qui cache le corps dans le congélateur du restaurant d’à côté » (c’est le sujet de "Volver"). Le retour aux sources que fait Leo dans le village natal de sa mère a lieu dans la même maison qu’occupe la famille de Penelope Cruz dans le film de 2005.
C’est sa mère qui va lui montrer le chemin pour se sortir peu à peu de cet état dépressif qui la ronge : comme elle, la vieille dame s’est déjà sentie « perdue, désorientée, comme une vache sans cloche » : revenir vers ses racines lui a permis de reprendre goût à la vie et surtout de retrouver une part d’authenticité, de vérité.

Leo redevient maîtresse d’elle-même ; de retour à Madrid, elle est en mesure de faire face aux événements de l’existence avec distance et philosophie (au fils de sa cuisinière, un jeune danseur et chorégraphe qui lui avait volé un brouillon de son manuscrit pour le vendre à un producteur de cinéma et utiliser l’argent pour financer un spectacle, Leo dira simplement : « Merci Antonio. Tu as donné un sens aux mois les plus noirs de ma vie »).

« La vie est extraordinaire. Si cruelle, si paradoxale. Si imprévisible, et parfois si juste », constate Leo, apaisée et libérée de ses démons. Dommage que ce constat ne s’accompagne pas pour le spectateur de scènes de cinéma qui illustreraient ce propos : le film d’Almodóvar reste très plat et sans surprises.
Frankoix
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le 10 nov. 2012

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