De 1959,fin de sa construction,à 1963,date de sa submersion,l'horrible histoire vraie du barrage de Vajont,édifié au coeur d'une région italienne montagneuse réputée instable.D'un pur point de vue cinématographique,le film du producteur-réalisateur-scénariste Renzo Martinelli est relativement limité.C'est un peu long,mis en scène assez platement à la manière d'un téléfilm,la reconstitution historique,un rien trop appliquée,ne sonne pas très juste,la musique casse la tête,et c'est parasité par une intrigue parallèle mélodramatique et prévisible qui dilue légèrement l'intérêt.Quant aux effets spéciaux,ils sont moyens,mais c'est normal étant donné qu'il n'y a pas ici la surface financière d'un blockbuster américain.Cependant,au-delà de ces scories techniques,le film dit bien ce qu'il a à dire et démonte de façon claire les rouages d'une opération pourrie gangrenée dès le départ par la logique de profit.Car déjà,en ces temps reculés,le rouleau-compresseur du capitalisme aveugle était ...en marche.Ca ne s'est pas arrangé depuis et le film entre étrangement en résonance avec notre époque marquée par le chômage de masse,les déplacements géants de population et le mépris d'humains réduits au statut de marchandises.Voici donc la bien nommée S.A.D.E.,Société Adriatique d'Electricité,maître-d'oeuvre du projet de barrage,qui choisit délibérément d'ignorer les nombreux signaux d'alerte qui,du début à la fin de cette triste affaire,ne vont que s'accroître.Que ce soit parmi les scientifiques ou les fonctionnaires concernés par la construction ou au sein de la population de la vallée du Vajont,les avis sont très controversés.Les progressistes béats clament que l'ouvrage va apporter la prospérité à la région,les opposants prédisent une catastrophe,les autres doutent et ne savent que penser.Mais personne n'ignore les risques liés à l'opération.Chacun sait que la montagne,opportunément nommée le Toc,est friable et peut s'effondrer à tout moment,mais les gérants de la S.A.D.E. refusent de le voir.Car les patrons de la firme,tous diplômés en génie civil,sont à la fois des savants et des entrepreneurs.Cocktail explosif s'il en est,car si le savoir a ses limites,l'appât du gain n'en connait aucune.Ces types vont donc se retrouver pris au piège de leur arrogance couplée à leur cupidité.Car,et l'on touche là au noeud du problème,il ne s'agit pas d'une mince affaire mais d'un énorme marché passé avec l'état italien.Pas question alors de laisser filer une telle manne,même si tous les voyants sont au rouge,tout ceci se faisant naturellement,comme à l'accoutumée,au nom du progrès et du bien-être général.Dès lors,rien n'arrêtera la folie criminelle de ces apprentis-sorciers,pas plus les interrogations des habitants du lieu que les rapports défavorables de certains géologues ou de certains fonctionnaires,pas plus les brèches s'ouvrant dans le sol que la croisade d'une journaliste communiste,pas plus le souvenir du drame du barrage de Fréjus que les micro-tremblements de terre ou les tests inquiétants.Les politiques seront achetés,les géologues sceptiques écartés au profit d'experts d'autant plus conciliants qu'on les paie pour l'être,les fonctionnaires récalcitrants mutés,la reporter de l'Unita attaquée en justice et la population,quantité négligeable,carrément ignorée.Résultat:le Toc,ainsi qu'on pouvait le prévoir,finira,après un glissement de terrain, par dégringoler dans le lac artificiel créé par la S.A.D.E.,ce qui aura pour effet de le faire déborder par-dessus le barrage,l'eau déferlant alors dans toute la vallée et submergeant les villages.Bilan:plus de 2000 morts.Lesquels ne sont d'ailleurs pas exempts de tout reproche,car la catastrophe était prévisible et annoncée.Mais voilà,le peuple est naïf et,du moment que les autorités lui assurent que tout va bien,il le croit,même s'il sent confusément qu'on se fout de sa gueule,un peu comme en ce moment avec ce krach boursier qui approche à grands pas et que tout le monde feint d'ignorer.Les évènements seront révoltants jusqu'au bout.Alberico Biadene,l'abject patron de la S.A.D.E.,prendra la fuite pour échapper à ses responsabilités.Quand il sera enfin cravaté et jugé,il n'écopera que de cinq ans de prison et n'effectuera que la première année de sa peine avant d'être gracié.Pas étonnant avec ce genre de méthodes que l'Italie aie vu naître quelques années plus tard les Brigades Rouges.Coproduction italo-française oblige,nos stars nationales Daniel Auteuil et Michel Serrault sont de la partie et effectuent de sensationnels numéros en ingénieurs mégalos et avides d'argent.Laura Morante déploie une belle énergie et une évidente motivation dans le rôle de la journaliste Tina Merlin.On assiste aussi à la révélation de la délicieuse et vive Anita Caprioli,qu'on ne reverra hélas guère par la suite.