Lubitsch, ton univers imparable.
Lubitsch est un univers singulier qu’on retrouve avec un plaisir croissant à mesure qu’on en fait la connaissance.
Un monde sur lequel les protagonistes posent leur regard iconoclaste dans un grand éclat de rire. Ici, deux figures atypiques, Cluny Brown et Belinski sont les grains de sable d’une société atrophiée et mortifère de la haute bourgeoisie britannique. Elle, une servante préférant la plomberie aux plats de porcelaine et racontant ses rêves au premier confident, occasionnant pléthores d’allusions sexuelles que le code Hays a malgré lui galvanisées. Lui, un personnage venu du continent européen phagocyté par le fascisme et préparant en 1938 la grande tragédie. Féru de psychanalyse, escroc bienveillant, Boyer et son accent français font des miracles face à une Jennifer Jones survoltée (et bien plus convaincante que dans Le Portrait de Jenny). Chacune de leur apparition exacerbe l’indignation figée des conventions et fouette d’un sang neuf une société elle aussi hilarante par son attachement à des conventions d’un autre âge.
Au-delà de la simple et déjà jubilatoire comédie, le personnage de Belinski est une véritable énigme narrative. Figure de l’émigré, voire du Persan, il recueille les confidences, suscite les vocations militaires et arrange les mariages. Nouveau valet de comédie moliéresque, psychanalyste à ses heures (« Stay angry and everything will be allright »), roublard quand il s’agit de soutirer quelques billets, il est finalement inactif dans ses propres intérêts, attendant des autres qu’ils soient prêts à franchir le pas, entre eux pour Andrew et Betty Cream, vers lui pour Cluny Brown. Cette posture originale montre l’aisance encore plus grande d’un Lubitsch en pleine possession de ses moyens, figure d’un cinéaste qui laisse le monde tourbillonner autour de lui pour en récolter toute la sève et nous laisser croire que sa révolution s’opère en toute autonomie : les ridicules se chargent de leur propre satire tandis que les amoureux se trouvent tout naturellement.
Dans son dernier véritable film, l’univers de Lubitsch est ainsi définitivement posé. Et la seule conclusion à en tirer, c’est qu’on désire y retourner au plus vite.
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