Une féerie si habilement pensée et construite qu'on s'y laisse prendre

Le scénario de ce conte fantastique emprunte à au moins trois célèbres histoires : "La Belle et la Bête" pour l'histoire d'amour hors norme, "L'Étrange créature du lac noir" (film fantastico-horrifique des fifties) pour la reprise, design compris, de l'humanoïde amphibien mis en scène et pour toute la dimension ou esthétique onirico-sous-marine du film, enfin "King Kong" pour le transport de la créature extraordinaire hors de son milieu naturel (un fleuve boueux d'Amérique du Sud, nous dit-on) vers la civilisation occidentale la plus sophistiquée de l'époque et sa confrontation à celle-ci. L'écriture mélange ces trois apports majeurs et parfait son cocktail avec un certain nombre d'autres éléments : la guerre froide USA - URSS des années 50 - 60, un laboratoire gouvernemental ultra-secret de la côte Est des USA, une "belle" muette femme de ménage de ce laboratoire, un "méchant" de service qui a capturé la créature et s'acharne à la dompter, etc., etc.
Si toute cette improbable histoire parvient à nous intéresser et même à nous émouvoir, c'est parce que les personnages qui l'animent sont très travaillés, au point de devenir crédibles et quasiment vrais. On croit à ce "méchant" joué par Michael Shannon, au plaisir qu'il trouve à briser, torturer l'Amphibien qu'il a capturé en Amazonie. On croit à cette timide et effacée muette (merveilleusement interprétée par Sally Hawkins) qui passe ses journées à faire le ménage, qui pour autant a un appétit sexuel comme n'importe qui ; et on accepte qu'elle puisse vouloir séduire cette créature pas comme les autres, qui ne parle pas plus qu'elle, qui est au moins aussi seule, aussi malheureuse et qui... semble s'intéresser à elle. On croit à l'amitié qui lie la muette Eliza à l'assez volumineuse Zelda (jouée avec talent et humour par Octavia Spencer) qui l'accompagne dans ces humbles journées de ménage et qui, peu à peu, comprend et accepte la liaison qu'Eliza a réussi à nouer avec l'Amphibien. On croit également au personnage de Giles (Richard Jenkins), l'ami et voisin de palier d'Eliza, un vieil homo (graphiste publicitaire dans la dèche) amoureux du tenancier d'un café chez qui il vient irrésistiblement acheter des tartes immangeables. Ainsi qu'à celui de l'espion russe (le docteur Hoffsteller / Michael Stuhlbarg) qui, à ses risques et périls, favorise l'évasion de l'Amphibien parce qu'il a compris que c'est une créature intelligente et quasi-humaine et qu'il ne veut pas qu'on le tue. Enfin l'Amphibien lui-même, autour duquel tournent tous les humains de cette féerie, est une merveille de création : son aspect et sa constitution physique, son comportement marin et terrestre, sa façon de communiquer, ses émotions, son langage, tout tient debout autant qu'il est possible.
Donc énorme travail d'écriture des personnages, et remarquable travail des comédiens qui se les sont appropriés et qui les font vivre avec tant de crédibilité qu'on partage vraiment leurs émotions.
Énorme travail aussi au niveau des décors, de l'environnement dans lesquels ces personnages vivent. Tous sont saisissants d'authenticité. On se sent véritablement transportés à la fin des années cinquante. La création du laboratoire avec ses carrelages lugubres et ses dispositifs démodés et impressionnants, les appartements désuets, vieillots et néanmoins charmants d'Eliza, de son voisin Giles, de sa copine Zelda, du "méchant" Strickland, du dr Hoffstetler, l'intérieur et extérieur du vieux cinéma Orphéum : tous sont juste comme il faut pour qu'on se croie soixante ans en arrière. Et puis l'esthétique générale du film, ces nuances vertes qui dominent et rappellent évidemment les films d'horreur des années cinquante et le milieu sous-marin habituel de l'Amphibien, c'est parfaitement dans l'ambiance particulière de ce conte fantastique et ça y participe.
La bande-son, pourtant signée Alexandre Desplat et toujours si importante dans ce genre de films parce qu'elle suggère des émotions et un climat indicibles en mots, m'est, elle, un peu sortie de l'esprit... Ce qui veut dire qu'elle se fondait parfaitement avec les images, l'histoire et les personnages (il me semble me souvenir que chacun d'eux a son propre thème musical, mais je n'en suis pas sûr).


Vous avez évidemment compris que j'ai beaucoup aimé La Forme de l'eau, que ce genre de film à cheval entre réalisme méticuleux et fantastique teinté d'humour me ravit et que j'attends next sunday avec curiosité pour voir quels oscars lui seront attribués.
Si je n'ai mis que "8", c'est que "9", dans ma notation, c'est "chef d'oeuvre" et que ça ne se distribue pas à tour de bras... mais je me laisse le temps de la réflexion pour une éventuelle attribution de la note supérieure.


P. S. On le sait maintenant, La Forme de l'eau est le grand vainqueur des Oscars 2018 : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure musique originale, meilleure direction artistique (ou meilleurs décors). Pour moi, 4 Oscars mérités.

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le 28 févr. 2018

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Fleming

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