Il semblerait qu'une nouvelle tendance émerge à Hollywood : publier un livre en même temps ou dans un temps proche de la sortie d'un film. Le scénario des "Animaux Fantastiques" avait ainsi été publié peu de temps après sa sortie. "La Forme de l'eau" reprend cette idée en publiant l'histoire en même temps que le film arrivait sur les écrans. Phénomène marginal qui viendra à s'essouffler ou technique durable de communication ? Vu le manque de recul, seul l'avenir nous le dira. Mais il me semble intéressant de garder un œil sur cette tendance, elle pourrait nous en dire beaucoup sur l'état de la culture actuelle.
Plus spécifiquement, le film de Guillermo Del Toro a su faire parler de lui : un Lion d'or à la Mostra de Venise puis quelques Oscars en 2018 dont celui du meilleur film et celui du meilleur réalisateur. Rien que cela.
"La Forme de l'eau" est un film poétique, presque mélancolique, où le réalisateur laisse exprimer son intérêt pour l'étrange et le gothique.
L'amour de Del Toro pour les monstres se ressent à nouveau. L'amphibien (on l'appellera comme cela puisque l'on ne connait pas son nom) n'est pas présenté comme une bête dangereuse mais comme un être doué de sensibilité, capable d'aimer ou de souffrir, et d'intelligence.
Seule une personne dont la société lui ferait comprendre qu'elle n'est pas "normale" pouvait se s'en rendre compte dans l'imaginaire de Del Toro. C'est donc une femme de ménage muette et seule qui hérite du rôle principal.
Cela permet également au réalisateur de s'approcher par moment d'un film muet, renforçant la poésie de l'oeuvre et signant en même temps un hommage au cinéma (de vieux films sont régulièrement diffusés dans les décors).
Le côté presque muet des scènes d'Elisa est renforcé par la musique très présente et magnifique du français Alexandre Desplat. Ce dernier a réalisé un travail remarquable, récompensé par l'Oscar de la meilleure musique.
Cela tranche avec les scènes où apparaît le personnage de Michael Shannon, qui sont essentiellement basées sur les répliques et l'emportement du personnage. Celui-ci délivre des sentences pseudo-philosophiques sur le sens de la vie ou de la masculinité et représente la caricature de l'homme blanc américain des années 60. Un républicain pur jus.
Michael Shannon y est impressionnant. C'est probablement l'acteur le plus juste de tout le casting. Et son magnétisme naturel m'a maintenu rivé à l'écran à chaque fois qu'il y apparaissait.
Alors après toutes ces éloges, pourquoi seulement 7/10 ? Parce que tout n'est pas rose. Le film a beau être poétique, il manque parfois de subtilité. Les personnages sont rarement complexes dans leur personnalité : on identifie facilement les méchants et les gentils.
De même, si la photographie est très belle, cette omniprésence de vert-bleu voulant rappeler les fonds marins est encore une fois peu subtile.
Enfin, et c'est peut-être le plus problématique, le film baisse parfois tellement en régime que le risque est grand de décrocher. Si l'équipe avait raccourci le film, il aurait été un peu dynamisé.
Alors méritait-il l'Oscar du meilleur film ? Je ne le pense pas même s'il reste un beau film. Ces périodes de flottement et cette histoire qui ne mène finalement pas très loin, hormis pour délivrer un message peu subtil, a tendance à entamer la poésie que toute l'équipe avait réussi à créer.