Ce qui est bien avec Kurosawa, c'est qu'il parvient à faire des films différents tout en préservant une cohérence d'ensemble. Comme chacun le sait, Georges Lucas a pompé son squelette narratif et ses personnages sur La forteresse cachée, j'en parlerai peu à l'occasion car les emprunts sont intéressants : ils soulignent la modernité de ce film. D'autre part, lorsque Kurosawa traite le genre du film de sabre, il se plaît à en casser les "codes". Ici, il le transforme en film d'aventures avec un brin de comédie.


La patte du réalisateur est tout de suite reconnaissable à travers son sens du cadre, ses personnages, et ses thèmes. D'abord, l'époque historique n'est pas identifiable comme dans le Château de l'araignée : comme d'habitude ce n'est pas un point important pour lui. Les seules informations que nous avons servent de leitmotiv au récit : deux clans qui se font la guerre et la pauvreté ambiante. Ainsi, nous avons une parfaite représentation de l'action. Pour compléter le tableau, s'y trouve aussi un travail autour de la profondeur de champ (je pense notamment aux scènes dans la montagne), ainsi qu'un gros boulot sur le montage, nous faisant passer facilement d'un décor à l'autre en dépit d'un lieu géographique unique, créant à la fois un effet de cohésion et de dépaysement. Deux idées à la base du film moderne d'aventures.


L'histoire débute avec deux pauvres paysans qui ont tout quitté pour s'enrichir et se retrouvent dans la merde au sens propre (dixit leur premier dialogue qui porte sur celui qui pue le plus des deux). Leur bêtise et leur appât du gain constituent paradoxalement une forme de courage chez eux, et leur duo comique ressemble beaucoup aux chamailleries de C3PO et de R2D2. Sur leur route, ils croisent deux étranges personnages : un homme hirsute et une princesse aux airs de garçon manqué. Contrairement aux films du genre, leur apparence ne colle pas avec leur fonction (encore plus que dans Sanjuro : il ne porte même pas de sabre ni de kimono), et leur force intérieure est cachée (encore un trait que Lucas reprendra à son compte). C'est d'ailleurs une bonne idée de les introduire sans qu'ils disent un mot, présentant ce qu'ils sont en s'imposant par leur présence et ce qu'ils dégagent, et non par leur rang social. Le personnage de Mifune (un mélange Solo et de Skywalker) est vraiment réussi, à la fois ironique vis à vis des paysans (une scène magnifique : celle où, sans un mot, il se met à rire de leur ténacité et de leur intelligence bien malgré eux), loyal, et fort au sabre. La princesse, complètement à l'opposé des standards du genre, ne prend pas la loyauté pour argent comptant, et préférerait qu'un sujet ne risque ou ne se sacrifie pas pour elle. Elle a un véritable amour pour son peuple (puis quelle bonne idée de la rendre muette pendant une bonne partie du film, pour ne pas révéler son identité à ses ennemis, mais aussi pour rendre plus intense son désir de l'ouvrir lorsque son peuple est visé). Enfin, il y a un badguy qui est taraudé entre le bien et le mal, l'amitié ou les ordres, véritable alter-ego de Mifune.


Le tronc du film est tout simple : ils trouvent de l'or, et veulent l'amener à destination. Chose originale : ce sont les "défauts" des uns et des autres qui permettent en fait de faire avancer l'histoire. Les paysans, uniquement pour épargner leur vie, inventent de manière improvisée un plan pour contourner une frontière surveillée, afin d'expliquer au personnage menaçant (campé par Mifune) qu'ils veulent seulement rentrer chez eux et non chercher de l'or. La princesse, en vendant des chevaux pour acheter par compassion une femme de son clan, permet à la troupe de passer inaperçue, ne collant plus à la description recherchée. Le seul véritable combat est un duel entre le samouraï incognito et le bad-guy, qui encore une fois brise les "codes" en proposant un affrontement à la lance, qui est en plus très bien filmé, dénotant un sens de l'espace, à l'image des bandes de toile déchirées au passage des lames tranchantes. Bref, ce ne sont pas les personnages habituellement "forts" (comme le samouraï) qui font l'action "utile", mais les "faibles" ou attendus comme tels (les paysans et la princesse). Une scène fait beaucoup penser au Château de l'araignée, preuve qu'il ne s'agit pas d'un divertissement creux, loin de là (comme Sanjuro d'ailleurs) : une fête du feu et un chant qui rappellent magnifiquement notre condition égale devant le néant, remettant en question toute idée de hiérarchie sociale ou les désirs de gloire et de richesse. Tout se termine par un bel happy-end (ça demeure quand même un film divertissement, pas un drame, et puis malgré tout, Kurosawa était un pacifiste dans l'âme), rassemblant le samouraï et la princesse brillant enfin de tous leurs fards, mais dont l'humanité a été largement (é)prouvée par leur petite aventure, le badguy qui a finalement préféré l'amitié à ses rêves de gloire, et même les deux paysans qui dépassent (de peu) leurs différends pour partager le peu qu'ils ont.


Bref, La Forteresse cachée est un beau film d'aventure qui casse les codes du genre du film de sabre, à la fois épique (la BO de Sato !), comique, psychologique, et humaniste. Quelques baisses de rythme sont à signaler, mais rien de grave, heureusement compensées par une fin à la hauteur.

Arnaud_Mercadie
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le 26 avr. 2017

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Dun

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