Catherine Corsini se prédestine à tout un tas d’engagements sociaux, que l’on retrouve volontiers dans ces œuvres, jusqu’à gratter dans sa propre autobiographie. Après avoir dirigé Emmanuelle Béart, Karin Viard, Cécile de France et Virginie Efira, on ressent un amour de droit pour ses héroïnes. Mais ce ne sera pas le lieu pour un débat sur la sexualité de chacune, car c’est dans l’intimité des services des urgences que la réalisatrice nous emmène, le temps d’une nuit agitée. Pourtant, c’est le même genre de nuit que l’on retrouve à tous les hôpitaux de la capitale, notamment les institutions publiques, où les flux incessants riment avec une détresse foudroyante. C’est le cœur d’un sujet politique, qui n’omet pas de rappeler le contexte révolutionnaire des gilets jaunes, assimilé à cette fameuse fracture, qui touche le pays tout entier.
Toutes les figures se croisent dans les enceintes surbookées d’un hôpital, précieusement entretenu par ses employés, fidèles au poste, fidèles à leur vocation. C’est dans un entre-deux permanent que Corsini affiche la détresse d’Aïssatou Diallo Sagna et de son équipe d’aides-soignants, dont l’hommage souligne courage et humanité. Ce sont bien évidemment des aspects que le spectateur ne confrontera pas, car il en est davantage conscient, après des mois de retenus. Le récit trouve son catalyseur dans une lutte de classe et dans les blessures que les hommes et les femmes portent ou supportent. Raf (Valeria Bruni Tedeschi) est une dessinatrice, qui perd momentanément l’usage de son outil de travail, bêtement et égoïstement. Cette douleur du bras et du cœur, avec sa moitié Julie (Marina Foïs), l’amènera à rencontrer un routier, déterminer à se faire entendre.
Nous avons tous les partis qui intéressent les scénaristes, dans l’idée de réconcilier deux visions du monde, celui-là même qui brûle à l’extérieur. Ce serait toutefois un pas audacieux mais maladroit, qui ajoute plus de confusions que de tensions. La symbolique idéalise un cas qui ne dépend finalement que de deux êtres, qui apprennent, qui mûrissent, mais qui sont condamnés à répéter les mêmes erreurs, faute de trajectoires, éditées et imposées par le grand patron à la télévision. La présence et l’état de Yann (Pio Marmai) illustre bien des propos que l’on a contés à toutes les sauces, mais la cinéaste promet des nuances, à travers une écriture assez maline. Les ruptures de ton nous arrachent des rires sincères, pour mieux nous ramener à une réalité qui se veut plus tourmentée. Il est donc possible d’y voir deux études dans deux pièces différentes, l’une caricature et croque à pleine dent dans le cynisme qui lui convient et l’autre brandit des bannières de solidarité silencieuses.
En somme, « La Fracture » ne cherche pas à élucider le mystère d’une incompréhension et de communication, car cela coince à tous les niveaux. Corsini filme ce que son cœur lui dit, sans oublier ceux qui sont opérés dans les salles d’attentes, pleines à craquer et prêtes à imploser. On jubile dans ce chaos qui mesure les problématiques actuelles et qui, grâce à sa force mentale et humaine, réconforte le temps d’une séance introspective. En assumant quelques caractérisations facilitées ou encore des situations farfelues, le film dépasse une certaine attente lorsqu’il est conscient de son décalage et de l’effroi qu’il engendre, à l’image d’une femme qui s’endort seule et sans pensée haineuse.